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Les 30 millions de population qui reçoivent la farine de leur commune sont moins à l’aise, et les 20 millions d’habitans des villes, servis par l’Office impérial des grains, ne le sont plus du tout : les cartes de pain, à Brème, donnaient droit, le 15 mars dernier, à 1 725 grammes par semaine et par tête ; à Munich, à 1 687 grammes ; c’est moins de moitié de la consommation normale du temps de paix.

Comme ces quantités seraient insuffisantes pour les ouvriers, des supplémens sont accordés à ceux qui se livrent aux travaux pénibles. À Berlin, 600 000 cartes sont ainsi distribuées, donnant droit à un surplus de 105 grammes par jour ; la ration atteint alors 437 grammes. La qualité de ce pain paraît inquiétante lorsqu’on le voit coté 0,45 centimes le kilo dans la même localité où la farine se vend 1 fr. 65. L’écart entre les deux chiffres est significatif ; il est vrai qu’il existe de la « farine de paille » à 0,32 centimes, que la farine de maïs ne vaut que 1 fr. 10 le kilo et qu’avec les « flocons de maïs », à 0,55 centimes le kilo, on fait une espèce de panade très nourrissante.

Les listes de prix des vivres qui, des journaux allemands où ils abondent, passent quotidiennement dans les nôtres, ne donnent qu’une idée assez confuse, même incohérente, de la situation. Les uns sont exagérés et tendancieux ; les autres sont des tarifs peu sincères parce que les marchandises auxquelles ils s’appliquent, comme le pain, ont changé de nature. À Cologne, à Chemnitz, les cuisines roulantes de la ville circulent de onze heures et demie à une heure et de six heures et demie à huit heures du soir, dans un certain nombre de rues ; elles fournissent, nous dit-on, diner et souper chaud pour une somme minime. En effet, le conducteur délivre des tickets de 25 centimes donnant droit à des portions d’un litre. Il faudrait y goûter pour savoir ce que contient ce litre et s’il n’y a pas trop de ces « succédanés » problématiques dont les Allemands sont si fiers.

Je me souviens d’une boutique sur laquelle, durant le siège de Paris en 1870, on lisait en gros caractères : « Boucherie de chien, chat et rat. » Celle-là ne trompait point son monde, elle appelait les choses par leur nom. Suivant le système qui prévaut aujourd’hui chez nos voisins, elle se fût appelée : « Boucherie de succédanés. » Car le succédané alimentaire n’est pas, comme on essaie de nous le faire croire, une invention comestible,