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l’Ouest industriel et consommateur, la question des denrées était pour beaucoup une affaire de répartition.

Or, le soi-disant « génie d’organisation, » prompt à prendre un pavé pour tuer une mouche, a surtout institué quelques paniques qui ont réjoui les Alliés. Il manquait à l’Allemagne, l’an dernier, environ 23 millions de quintaux de froment qu’elle achetait habituellement à l’étranger ; mais comme elle avait supprimé ses exportations de seigle, dont elle récolte sur son territoire 110 à 115 millions de quintaux, elle se trouvait, avec les 40 millions de quintaux de froment de son propre sol, être seulement en déficit d’une quinzaine de millions de quintaux de grains, défalcation faite des semences, pour l’année 1914-1915, sur sa consommation de 160 millions du temps de paix.

Ce déficit théorique et positif, accru par le gaspillage inévitable des réquisitions de guerre, par les lenteurs de transport d’un point à l’autre de l’Empire, par le peu de goût qu’éprouvaient pour le pain bis les consommateurs de pain blanc, finit par aboutir au rationnement, aux cartes de pain et à la fabrication du fameux pain de seigle presque « complet, » dit KK (Kartoffel, pomme de terre, et Korn, seigle), dont la fécule de pomme de terre alourdissait et affadissait la pâte.

Cette réglementation effrayante avait organisé surtout la dissimulation et le secret ; si bien qu’à l’été de 1915 les autorités ne purent même pas se rendre compte exactement de la récolte. En août, « on trouvait, dit le directeur de la Société des Céréales de guerre, 10 millions et demi de tonnes ; c’était bien peu, on comptait sur 14 à 15 ; le 16 novembre, nouveau recensement encore inférieur. Les statistiques officielles estimaient à 900 000 hectares la diminution de la surface cultivée en blé, ce que les agriculteurs déclaraient impossible. » De fait, les déclarations de la culture, lors de l’inventaire initial des blés, furent partout reconnues fausses et inférieures à la réalité, lorsqu’en février les introductions de blé roumain eurent dissipé les craintes de disette.

La disette n’intéressait pas les 15 millions de producteurs vivant de leur propre exploitation, parce que la quantité de 9 kilos de céréales à pain, par personne et par mois, qui leur est concédée par les ordonnances, n’est, pour ces détenteurs du stock, capables de se servir eux-mêmes, qu’une vaine formalité.