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affamé et manque de tout ; s’il est question de la durée de la guerre et des chances de victoire, il annonce que l’Allemagne ne manque de rien et pourra tenir indéfiniment.

En tout cas, si l’on pouvait faire du pain avec des lois, l’Allemagne en aurait à revendre, car ce n’est point de lois sur les denrées et marchandises que l’on chôme en Germanie depuis le début des hostilités ; et ce n’est pas non plus d’ « associations, » de « conseils, » d’ « offices, » de « comités, » de Kriegswirthschaftsgeselleschaften, « centrales d’achats de guerre. » Ces bureaux copieux, — il en est plus d’une centaine peut-être, — où brille ce que nos voisins appellent complaisamment « leur génie d’organisation, » sont composés partie de fonctionnaires, partie de professionnels de bonne volonté, chargés d’inventorier, acheter, réquisitionner, transformer, répartir, contrôler, taxer, vendre et rationner la plupart des alimens et des matières premières.

Tous participent des pouvoirs dictatoriaux dont le Conseil fédéral a été investi par la loi initiale du 4 août 1914, que des lois, décisions ou décrets postérieurs sont venus peu à peu préciser, étendre ou corriger. « Il y a déjà eu dix ordonnances sur les pommes de terre, disait au Landtag le ministre de l’Agriculture prussien. Il n’est certainement pas agréable de prendre toujours de nouvelles ordonnances. La critique est facile, et l’on est beaucoup plus avisé lorsqu’on sort de la salle des délibérations que lorsqu’on y entre... » Ce colossal effort de bureaucratie, quelque louable qu’il puisse être, ne mérite pas l’admiration béate où les Allemands se sont complu devant les rouages compliqués de leur appareil disciplinaire.

A entendre M. Walther Rathenau, fils du fondateur de la grande Société d’électricité, — Allgemeine Elektric Gesellschaft, — conférencier sur les « Centrales » d’achat devant un auditoire respectueux, on croirait que le groupe de techniciens-patriotes dont il fut le chef a sauvé l’Allemagne de la disette et permis au printemps de 1915 le succès de son offensive en Galicie. Tout au contraire, si l’on écoute les plaintes des commerçans, la « Société centrale d’achats » aurait commis nombre d’erreurs, renchéri les prix en opérant des déplacemens inutiles de marchandises et diminué la qualité des produits mis en vente, pour n’en avoir pas pris le soin nécessaire en magasin. Dans un pays où l’Est rural et producteur devait nourrir