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demi-siècle, il n’en est pas moins vrai que l’Allemagne actuelle pourrait être sevrée de beaucoup de vivres sans être « affamée, » ni en danger de souffrir de la faim.

Nous savons tous d’ailleurs que les intérêts matériels ne comptent plus dans cette guerre ; l’Allemagne a sacrifié les siens aux rêves d’une ambition morbide, et nous ne nous soucions plus des nôtres, maintenant que le sang de nos fils a été répandu à flots. Ce ne sont ni les embarras économiques, ni le manque d’argent qui mettront fin à la lutte ; ce ne sera pas davantage la pénurie des armes et des munitions, puisque, des deux côtés, elles se multiplient sans cesse ; mais ce sera un jour l’inégalité d’effectifs des armées belligérantes, parce que les hommes ne se fabriquent pas et ne se renouvellent pas comme les choses. Ce jour-là, l’Allemagne qui, la première, déchaîna le « nombre » et triompha par lui, sera vaincue par le « nombre » à son tour.

Jusqu’ici, notre blocus, suscitant chez nos ennemis la hausse de nombreuses marchandises, provoque seulement une certaine gêne et entretient un mécontentement assez naturel parmi la foule germanique, qui ne comprend pas pourquoi la guerre dure toujours, puisque les Alliés sont, lui dit-on, depuis longtemps terrassés.

Ce blocus, en raison des ménagemens dus aux neutres, fut ultra-bénin tout d’abord : d’août 1914 à mai 1915, durant les dix premiers mois de guerre, l’exportation d’Allemagne en Amérique avait à peine diminué de moitié, par rapport aux dix mois correspondans de 1913-1914. Mais, si l’on envisageait le mois de mai isolément, elle n’avait plus été que de 15 millions de francs en 1915 contre 75 millions en 1914. Pour l’importation des Etats-Unis en Allemagne, à ne considérer que les statistiques, elle était tombée à presque rien ; mais les cotons, les laines et les blés faisaient un détour et entraient par les petites portes scandinaves et hollandaises. Avec une mansuétude, que d’aucuns de ses dirigeans dans le Cabinet taxaient de duperie, l’Angleterre attendit jusqu’à fin septembre pour déclarer que « le pavillon ne couvrirait plus la marchandise. »

Les Allemands, eux, avaient crié bien avant qu’on ne les écorchât ; c’est même une contradiction piquante que celle du gouvernement de Berlin : s’il veut protester contre le blocus et réclamer la liberté des mers, il laisse entendre que le pays est