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guerre d’épuisement. L’Anglais ne s’analyse pas, il ne médite pas, ni ne voit plus loin devant lui qu’il n’est nécessaire, et il lui faut son bout de plaisanterie. Ce sont là des avantages effrayans et merveilleux...

Quand commença cette guerre, l’Anglais frotta ses yeux tout embués de pacifisme. Il se les frotte encore un peu, mais de moins en moins chaque jour. Profondément épris de paix par habitude et par tradition, il comprend vraiment aujourd’hui qu’il est plongé dans la guerre jusqu’au cou. Pour quiconque le connaît bien, c’est quelque chose [1] !

On doit avouer franchement que, du point de vue esthétique, l’Anglais privé de lumières et d’ombres, vêtu d’un complet marron, et surhumainement d’aplomb sur ses pieds, n’est pas trop attrayant. Mais pour la lente besogne de la guerre actuelle, usante, déchirante et terrible, l’Anglais qui se bat de son propre gré, qui manque d’imagination, humoriste, combatif, pratique, jamais porté aux extrêmes, optimiste muet et invétéré, et terriblement tenace, est sans aucun doute équipé pour la victoire.


Paroles réconfortantes, et d’autant plus dignes de foi qu’elles partent d’un homme moins disposé à l’illusion patriotique, qui dans toute sa carrière de romancier a pesé sans indulgence le bon et le mauvais du caractère national et qui, le connaissant du dedans, l’a jugé avec l’impartialité d’un étranger.

Mais la conclusion à laquelle atteint Galsworthy est au fond la même où aboutissent les quelques écrivains dont il a été parlé, si divers que soient leurs tempéramens et leurs points de vue. Shaw lui-même, pour qui sait lire sa vraie pensée sous ses sarcasmes, ne fait pas exception. Et une affirmation de foi semblable sort des pages d’une multitude d’autres hommes de lettres, prosateurs ou poètes, qui n’ont pu malheureusement trouver place dans ce choix trop restreint et un peu arbitraire : Thomas Hardy, Edmund Gosse, Arnold Bennett, Jérôme K. Jérôme, Conan Doyle, Hilaire Belloc, Maurice Hewlett, Laurence Bynion, pour n’en citer que quelques-uns. Tous s’entendent pour réclamer que la guerre soit conduite sans fléchir jusqu’au bout et pour qu’elle soit décisive. Tous sont d’accord pour croire que l’Angleterre est pour sa part capable de la mener à bonne fin, et aucun d’eux ne doute un instant que, ce que l’Angleterre peut, elle ne le veuille.


EMILE LEGOUIS

  1. En français dans le texte.