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son côté, avait été frappé, dans son séjour en France, des fâcheuses interprétations que nous donnions à ces litotes anglaises : « S’il nous est difficile de comprendre les Français, écrivait-il, il est plus difficile encore pour les Français de nous comprendre. Je ne les en blâme pas. Par exemple, vous vous rappelez S... causant de cette infernale affaire que nous avons eue en avril dernier. Impossible de lui en faire dire plus que : ‘Twas damned unhealthy. (C’était diablement malsain.) Et il est comme nous tous Anglais. Et que diable voulez-vous que les Français fassent de cela ? Nous sommes tous aussi inarticulés que nous l’étions à notre premier jour. »

Ne nous méprenons donc pas sur ce tour de langage qui est un trait de caractère, et cessons d’y voir un manque de conviction, de sérieux ou d’intensité. Galsworthy en tire au contraire argument de force latente. Et il estime qu’il faut de même mettre au nombre de nos raisons de confiance la lenteur de décision et de mouvement de ses compatriotes. Enfin, rassemblant toutes les caractéristiques diverses qu’il a relevées chez l’Anglais, il aboutit à cette conclusion qui vaut d’être signalée :


Il faut qu’on mette une chose sous le nez d’un Anglais pour qu’il se décide à agir. Faites-le et il continuera d’agir après que tous les autres se seront arrêtés. Il vit beaucoup dans le moment présent parce qu’il est essentiellement un homme pratique, et non un homme d’imagination. Son manque d’imagination le rend, au regard du philosophe, un peu ridicule. Dans les affaires, cela lui nuit au départ, mais une fois qu’il s’est mis en train, cela lui donne une incalculable force d’endurance. L’Anglais, en partie par manque d’imagination et de sensibilité nerveuse, en partie par aversion innée des extrêmes et par habitude de réduire au minimum toute expression de ses sentimens, est l’exemple parfait de la conservation de l’énergie... Il a besoin d’être convaincu et il faut un tas de preuves pour le convaincre. Il absorbe les idées lentement, à contre-cœur ; il préfère ne rien imaginer du tout, à moins d’y être obligé, mais à proportion de la lenteur avec laquelle il s’avance est la lenteur avec laquelle il recule !...

Pour la situation particulière à laquelle l’Anglais doit aujourd’hui faire face, il est terriblement bien adapté. Parce qu’il a si peu d’imagination, si peu de faculté d’expression, il économise ses nerfs tout le temps. Parce qu’il ne se jette jamais aux extrêmes, il économise son énergie de corps et d’âme. Preuve a été faite depuis six mois [1] que les hommes de toutes les nations sont à peu près également doués de courage et d’esprit de sacrifice ; c’est d’autres qualités que l’on doit attendre la victoire dans une

  1. Ceci était écrit au début de 1915.