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article ait pénétré chez nous, et c’est dommage. Il nous intéresse au premier chef, car il émane d’un romancier qui s’est révélé le juge le plus pénétrant, le plus indépendant aussi, du caractère national, que l’Angleterre ait produit depuis Meredith. Et puis, ce diagnostic est tout dirigé vers la solution que nous cherchons. Galsworthy établit que l’Anglais est, surtout par sa faute, mal connu sur le continent, que d’ailleurs il se connaît mal lui-même. Or, il est une des principales valeurs de la guerre européenne, et il est nécessaire de saisir son caractère pour pronostiquer l’issue de la lutte.

Il est impossible de suivre d’un bout à l’autre l’analyse que nous offre Galsworthy, et d’ailleurs le regret qu’on a d’omettre un bon nombre de considérations tirées du tempérament physique, du climat, de la géographie, des Public Schools et des institutions politiques, est amoindri par la pensée que, depuis les Notes sur l’Angleterre de Taine et les travaux de Boutmy, sans parler des belles études récentes d’André Chevrillon, de semblables remarques sont familières en France. Contentons-nous de glaner quelques avis donnés au passage.

D’abord, « il ne faut pas juger l’Anglais sur sa presse, qui, recrutée, à quelques exceptions près, parmi ceux qui ne sont pas des Anglais-types, est bien des fois trop montée en couleur pour représenter le véritable esprit anglais... Il ne peut pas non plus être jugé sur la partie de sa littérature qui est le mieux connue sur le continent. L’Anglais proprement dit est incapable d’expression ; il est inexprimé. » Et ici, Galsworthy se trouve en parfait accord avec Kipling pour reconnaître qu’un des traits caractéristiques de l’Anglais est la répression de la personnalité enseignée comme un devoir dans les Public Schools : « Ne montrez jamais vos sentimens, — les montrer n’est pas viril et assomme autrui. Ne criez pas quand vous vous faites mal, car cela vous rend insupportable aux autres... Évitez toute emphase de parole et de manière, sous peine de vous faire moquer de vous. » Cette maxime est suivie à tel point que, sauf dans sa presse, l’Anglais a l’habitude de tout atténuer (understate).

Les étrangers s’y trompent, — n’a-t-il pas été dit au début de cet article que nous autres, Français, avons pu nous en étonner et presque nous en scandaliser ? — et ils appellent indifférence ce qui est peur de l’effet et de l’éclat. Kipling, de