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à côté quelques silhouettes de ces réfractaires à l’enrôlement qui correspondent là-bas aux embusqués de chez nous :


Trois jeunes hommes parfaits de santé, qui étaient en train de réparer le gazon d’une pelouse de golf, interrompirent leur tâche pour venir regarder les Canadiens. Deux jeunes cavaliers (également robustes) montés sur des chevaux de sang, les genoux au menton et leur selle entre les oreilles du cheval, traversèrent la pelouse au petit galop. Le bruit des automobiles militaires agita leur monture. Les cavaliers civils ont à subir de grands ennuis aujourd’hui. Un gentleman s’est déjà plaint de ce que ses galops personnels sont saccadés par les roues des canons et irrémédiablement abîmés.


Ainsi va Kipling, combattant avec sa plume, recrutant avec son ironie, réconfortant de sa cordialité tous ceux qui donnent à la patrie leur peine ou leur sang, cinglant les dernières résistances de l’égoïsme et de la torpeur. Il est moins à compter parmi les littérateurs de la guerre que parmi les soldats. Il a donné à la préparation de la victoire toute l’énergie de son talent, comme il lui a donné, hélas ! son fils unique, tombé sur le champ de bataille.


C’est assurément par Kipling qu’il conviendrait de conclure, si l’on se réglait ici pour leur distribuer des places sur le seul génie des écrivains. Il est le plus original comme le plus illustre parmi les littérateurs anglais de ce temps. Cependant, il a paru à propos de laisser le dernier mot à John Galsworthy parce que c’est lui qui, de tous, nous apporte la réponse la plus complète et la plus commodément formulée à la question : « Que fera l’Angleterre pour le succès commun ? »

L’esprit de Galsworthy dut être, au moment où la guerre éclata, troublé entre tous. C’était un démocrate résolument réformateur, un critique obstiné de l’idéal anglais traditionnel, voisin par les idées de Shaw et de Wells. Comme eux, il était pacifiste résolu. Il dira dans le Credo qu’il écrivit en décembre 1914 :


Je crois en la paix de tout mon cœur. Je crois que la guerre est un crime, — une noire souillure faite à l’humanité et au bon renom de l’homme. Je hais le militarisme et le dieu de la force. J’irais à n’importe quelle concession pour éviter une guerre d’intérêt matériel, une guerre qui ne reposerait pas sur des principes, car je me méfie profondément du sens ordinairement donné à ces mots : l’honneur national.