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doivent réunir pour exterminer. Par la violation de leur foi jurée, par les atrocités dont ils se sont souillés, les Allemands sont sortis de l’humanité. Et c’est ainsi que dans un discours prononcé pour le recrutement, à Southport, devant dix mille auditeurs, Kipling posera la question :


L’Allemand ne reconnaît l’existence d’aucune loi, — moins encore de celles auxquelles il a souscrit lui-même. Il est exécrable pour avoir, de propos délibéré, accumulé en Belgique les horreurs. Donc, tant qu’il existera une Allemagne non brisée, la vie sera intolérable sur cette planète, non seulement pour nous et nos alliés, mais pour toute l’humanité... Il n’y a aujourd’hui que deux catégories dans le monde : les êtres humains et les Allemands.


Voilà qui est simple et net et décisif. Ces mots prononcés, Kipling donne congé à toute théorie, à tout examen des causes, à toute prophétie sur la paix à venir. Il ne disserte pas, il n’argumente pas, il agit. Et il y a plaisir à passer de tant de pages, où les plus belles et ingénieuses paroles semblent un peu vaines, à celles de Kipling où chaque mot est un appel direct à l’énergie.

A cet égard, ses vers et sa prose se valent. Leur objet est précis et immédiat. Il s’est employé à activer le recrutement des volontaires pour l’armée de Kitchener, tantôt stimulant les enrôlemens par le récit de sa visite au front français, par l’admiration de l’immense effort que fait notre nation tout entière, d’où l’Angleterre doit tirer un exemple et une leçon ; tantôt signalant aux hésitans de son pays les durs travaux quotidiens de ces recrues spontanées dont les camps recouvraient peu à peu la campagne anglaise. Ou bien il est allé parmi ces marins qui lui sont si chers. Non pas exactement sur la flotte royale, mais explorant « les franges de la flotte, » évoquant pour les millions d’Anglais et d’alliés qui s’en doutaient à peine, l’incessant labeur, si monotone et si périlleux, de cette multitude presque anonyme qui sert d’auxiliaire à la flotte régulière, — de ces officiers de marine retraités, de ces matelots du commerce et de ces pêcheurs qui, par une vigilance de toutes les heures, jour et nuit, montés sur les embarcations les plus hétéroclites, draguent les mers, surveillent les sous-marins allemands, visitent les navires suspects, assurent aux autres les routes du trafic, tiennent libres les côtes anglaises et bloquent l’Allemagne, — en un mot garantissent