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Cet antimilitarisme est plus tenace chez Wells que ses autres sentimens. On le retrouve, avec l’espoir d’une paix qui sera pour toujours dans ce Demain ? qui est en train de paraître. Pourtant, telle est la nature impulsive de l’auteur que l’on a pu se demander un instant s’il n’allait pas verser dans l’autre sens et adorer ce qu’il avait brûlé.

Il écrivait en octobre 1915 un article : Looking ahead ! qui est de sa part bien surprenant. La guerre, y déclarait-il, a transfiguré l’Angleterre. Jamais Wells, qui n’avait encore consacré à sa patrie que des satires, ne l’a vue aussi noble : « L’Angleterre est aujourd’hui un pays plus propre, plus endurci, plus brillant et plus beau qu’il n’était en août 1914. Elle a l’âme plus suave et est à tout prendre plus heureuse qu’il y a un an. » Le luxe frivole a seul perdu. Ce qui frappe l’observateur étranger, c’est le nombre inouï de soldats, la khakification de la Grande-Bretagne. Des millions de jeunes gens qui eussent végété dans la routine de la vie industrielle ou commerciale ont été élevés à l’héroïsme... Et c’est mieux encore pour l’avenir. Une grande transformation sociale s’accomplit. Les volontaires n’ont-ils pas leur vie assurée par l’Etat ? Les femmes ne reçoivent-elles pas des allocations après le départ de leurs maris, des pensions après leur mort ? « Toutes les ressources du pays sont pour les hommes qui servent leur pays, doctrine qui s’étendra facilement du temps de guerre au temps de paix. » Une multitude de traditions et de préjugés sont en train de s’évanouir. « Cette guerre nous a changés. L’Angleterre est aujourd’hui mobile et plastique comme elle ne le fut jamais jusqu’ici. L’Angleterre est en fusion. L’Angleterre qui était un rocher est vivante. » Rien n’y sera plus comme auparavant. Le sceptre financier passera de la Grande-Bretagne aux Etats-Unis. « L’Angleterre cessera d’être le pays gras du monde. Le douteux privilège de cette graisse ira de l’autre côté de l’Atlantique. » Ce ne sont pas les classes inférieures qui auront le plus souffert de la guerre : ce sont celles qui avaient des réserves d’argent, des capitaux placés :


Nous soutenons cette guerre avec nos économies, avec notre graisse sociale. Toute la communauté en est appauvrie, mais, à proportion, les riches deviennent plus pauvres, et les pauvres plus à l’aise. Il se détruit beaucoup de richesse, mais beaucoup de richesse aussi se distribue... L’Angleterre qui sortira de cette guerre sera une Angleterre plus maigre,