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dans son patriotisme exacerbé par la guerre et le péril, il oublie tout de ses systèmes. En bonne foi, nous ne lui en voulons pas. Nous l’aimerions même davantage de s’humaniser ; s’il était un rien plus modeste, nous lui saurions gré de céder à l’instinct et de raisonner (ou déraisonner) comme le premier venu.

Il est toutefois un ordre d’idées où il montre plus de persévérance, et où d’ailleurs, pour une bonne raison, nul démenti ne lui a été infligé par les faits. C’est quand il décrit l’avènement de la paix prochaine, — de cette paix qui sera définitive. Car, ainsi que le dit le titre d’une de ses premières brochures, la guerre actuelle est « la guerre qui mettra fin à la guerre, » et, comme l’exprime le titre d’une autre, la paix qui la suivra devra être « la paix du monde. »

Wells, qui nous a décrit dans ses romans des guerres effrayantes comme des cauchemars, n’a été guidé vers ces sujets, dit-il, que par son horreur même de la guerre. Il a voulu en détourner les hommes par la peinture des invraisemblables massacres qui résulteraient de l’emploi des armes scientifiques nouvelles. Il est lui-même un pacifiste déterminé, mais en idéaliste, non point à la manière d’un utilitaire comme Norman Angell, qui condamne la guerre parce qu’elle ne fait pas ses frais.


Or, dit Wells, c’est là justement la seule chose honorable et attrayante qu’on puisse dire de la guerre. Rien de ce qui vaut vraiment la peine qu’on le recherche dans la vie ne fait ses frais... L’amour ne fait pas ses frais, l’art ne fait pas ses frais, l’honnêteté n’est pas la meilleure politique ; la générosité invite les natures basses à l’ingratitude. A quoi bon cet argument de petit marchand ? Il révolte tous les hommes honorables.


Non, ce pour quoi Wells exècre la guerre, c’est parce qu’elle est « atrocement laide, cruelle, destructrice d’innombrables beautés. » Et puis, par-dessus le marché, « parce que c’est une chose assommante. C’est un insupportable ennui. La guerre et la préparation à la guerre, les impôts, l’exercice, l’intrusion dans toute activité libre, l’arrêt et le roidissement de la vie, l’obéissance à des gens de troisième ordre vêtus de l’uniforme, dont les Allemands ont été les infatigables protagonistes, — tout cela est devenu une intolérable plaie pour l’humanité entière. »