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sympathie de son pays pour la France, mais déclina, au nom de ses compatriotes, cette invitation venue de la Grande-Bretagne à risquer la mort en rompant pour elle avec la Germanie. Pénible réplique, un peu méritée tout de même par l’écrivain trop sûr de lui, qui s’improvisait à la fois historien et diplomate.

Il faut bien le dire, il y a chez Wells une intrépidité de jugement, qui fait de lui un des plus entraînans parmi les auteurs, mais qui tout de même devance trop l’examen des faits. Il doit relire aujourd’hui avec surprise cette phrase qu’il écrivait en décembre 1914 : « L’armée allemande est tout ce que les partisans de la conscription rêvaient de faire de notre peuple. C’est, en fait, une armée qui est d’environ trente ans en arrière de ce qu’exigent les conditions contemporaines. » Ou que pense-t-il de son mot sur « la prétendue faculté organisatrice des Allemands (sham efficient Germans) ? »

Au moment où on serait enclin à l’accuser de trancher des questions qu’il connaît mal, il nous désarme d’ailleurs en avouant lui-même son ignorance. Il a le curieux privilège de la connaître et cependant de n’en être ni gêné ni repentant. Le voici, par exemple, c’est en août 1914, qui refond la carte de l’Europe. Il éprouve une allégresse extrême à penser que toute l’Europe, toute la société, peuvent être remaniées. « C’est, dit-il, une époque d’une incalculable plasticité. » Et il s’en donne à cœur joie. Il fait hardiment une Suisse au centre même de l’Europe, avec les résidus slaves, bohèmes et hongrois de l’Autriche. Il supprime d’un trait de plume les rois des Balkans, car il ne voit pas le besoin « de conserver ces pustules d’ambition maligne sur la belle face du monde. » Puis il ajoute : « Voilà mon idée personnelle du but où nous devons viser dans cette guerre... Très manifestement, dans toutes ces questions je suis bel et bien un ignorant. Très manifestement, mes plans sont fort mal digérés (crude stuff). Et j’admets que j’ai le sentiment d’une présomption absurde à m’asseoir devant la carte de l’Europe, comme un convive devant le canard qu’il va découper... » Mais cela ne le retient pas de découper le canard, et il affirme même que c’est le devoir de tout homme moyennement intelligent de faire ainsi de la géographie politique.

Son audace de profane apparaît plus au vif encore dans cette fougueuse lettre au Times qu’il écrivit le 31 octobre 1914,