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l’arme inouïe, semeuse d’épouvante, qui serait le salut des Alliés ? N’apporterait-il pas au monde la formule libératrice ? Comment en vouloir à Wells s’il l’a cru un peu lui-même ?

On l’a vu, revenant à ses visions de guerre dans les airs, faire campagne pour l’emploi d’avions sur un plan gigantesque. Ce seraient des escadres de milliers d’aéroplanes qui, franchissant les tranchées où se tapit l’envahisseur, voleraient au delà, parmi les troupes au repos, dans les villes de l’arrière, jusque dans la lointaine Allemagne, pour répandre l’incendie et la mort. Les Alliés se sont-ils inspirés de ce projet du journaliste ? C’est après qu’il eut paru, notons-le au crédit de Wells, qu’ont effectivement commencé ces raids d’escadrilles aériennes dont les communiqués nous ont dit les hardiesses et les succès, — ramenés, il est vrai, à des proportions plus modestes que le programme du romancier, pour lequel n’existent ni les difficultés de la création réelle, ni la résistance de la matière.

Wells s’est, avec moins de bonheur, aventuré dans la stratégie, et, pour atteindre ses fins stratégiques, dans la diplomatie. Il a vu dans la Hollande la clé de l’Allemagne. Diplomatie qui effraya la censure anglaise, car son article, destiné à un journal de Londres, ne put paraître, en février 1915, qu’à New York. C’était un appel à la Hollande de sortir de sa neutralité. Qu’elle ouvre son territoire aux Alliés, leur permettant de gagner par cette voie défendue le cœur de la Germanie, et ce sera la victoire finale hâtée de bien des mois. Et, du même coup, ce sera le salut de la Hollande, qui ne peut être assuré que par la victoire de l’Angleterre. Seuls, les Alliés lui garantiront son indépendance, son territoire respecté, même agrandi. : Ainsi Wells en appelait à la fois aux intérêts et aux sentimens de la Hollande. Mais, en romancier tourné vers l’avenir et peu renseigné sur le passé, — Wells méprise le passé, qui, de temps à autre, se venge, — il posait naïvement en principe une sorte de communauté de souvenirs et d’aspirations entre la Hollande et la Grande-Bretagne. Il ignorait vraiment trop l’histoire.

Il n’avait nulle idée des souvenirs amers laissés dans les Pays-Bas par un empire colonial aujourd’hui très diminué, par une suprématie navale disparue, le tout au profit de l’Angleterre. C’est ce que lui rappela, avec quelque ironie, M. à W. van Loon, le journaliste hollandais qui lui répondit, lequel protesta de sa grande pitié pour les Belges, de la grande