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d’hommes de lettres ont autant écrit que Wells depuis le début de la guerre, et aucun n’a autant prophétisé. Prophéties à ce point nombreuses et diverses qu’il est arrivé ce qui était inévitable : la moitié environ en a été confirmée, l’autre moitié démentie par les événemens. Mais Wells n’éprouve aucune gêne de l’échec partiel de ses prédictions. Dans ses pages les plus récentes, Demain ? il persévère intrépidement dans son prophétisme. Il y reconnaît d’ailleurs si franchement ses erreurs et en prend si crânement son parti ! Il est si fier de ses prévisions justifiées et si peu contrit des autres ! Et puis, comment lui oser chercher chicane ? Ne dit-il pas qu’il laisse aux « oisifs » le plaisir de rechercher ses erreurs dans ses écrits et qu’il livre la supputation de ses coups manqués à ceux que cela peut amuser ? Excusons-nous d’avance s’il nous arrive d’en supputer un ou deux. Et lui, excusons-le sur ses tentations de prophète, car elles ont été grandes.

Je me suis laissé dire qu’il y a quelques années, un ami de Wells, lui aussi romancier de talent, était tombé gravement malade, dans le Sud de la France. Son état empirait, et la mort était proche. Ses médecins n’inspiraient au moribond aucune confiance. Dans le trouble de la fièvre, il allait répétant à ceux qui le soignaient : « Il n’y a qu’un homme qui puisse me sauver, qui ait l’esprit assez ingénieux et inventif pour trouver le remède qu’il me faut. Appelez Wells. Télégraphiez-lui de venir. » Or, à l’heure où l’Angleterre à peine armée s’avisa du péril allemand, plus d’un des lecteurs de Wells dut se dire que la recette scientifique, le salut, était peut-être là, dans la tête surprenante du romancier. Le Wells des romans dits scientifiques avait imaginé de si étranges machines de combat, rêvé de guerres si neuves et si savantes, conçu de si colossales batailles sur terre et dans l’air, à coups de chimie et d’électricité ! Rappelez-vous l’effrayante descente des Martiens en Angleterre, la guerre aérienne entre la Germanie et les Etats-Unis, etc. Il était naturel de tourner vers lui un regard d’attente et d’espoir, — espoir de je ne sais quel engin merveilleux qui armât formidablement l’Angleterre et décidât d’un coup la victoire. Est-ce que notre Jules Verne n’avait pas été le premier à diriger un ballon et à faire naviguer un sous-marin ? Or, Wells, qui, ayant un coin de cruauté dans l’imagination, combine Jules Verne avec Edgar Poe, n’était-il pas tout désigné pour la création de