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Si Shaw est, comme il s’intitule lui-même à l’occasion, le charlatan ou le diseur de boniment du radicalisme, on peut définir G. K. Chesterton, nous n’osons dire comme le clown, mais comme l’équilibriste ou le funambule de l’orthodoxie. Il est vrai qu’il faut singulièrement étirer le mot d’orthodoxie pour l’adapter à un écrivain qui sans doute soutient en religion le catholicisme et combat le socialisme en politique, mais se fait le champion de la démocratie et de la Révolution française. Ce n’est donc qu’avec force réserves qu’on peut le traiter, comme l’a fait Wells, de représentant de l’esprit réactionnaire. Son attitude est singulière au point d’effarer le public anglais à peine moins que celle de Shaw. Opposés comme ils le sont l’un à l’autre, divergens comme le mysticisme et le rationalisme, ils se rejoignent par l’amour du paradoxe.

Chesterton emploie à l’ordinaire ses paradoxes à la défense des idées traditionnelles. Il rend la morale admise surprenante, le bon sens étrange, par la façon dont il les préconise. Cet homme volumineux, outrageusement corpulent, semble une gageure parmi les Anglais maigres d’aujourd’hui. Le caricaturiste le représente à bon droit comme marchant sur sa tête. Logicien et humouriste, il n’excelle à rien tant qu’à pousser à l’absurde les idées de l’adversaire. Curieux spectacle que les mouvemens de sa verve et les articulations de son raisonnement. Cela amuse, cela éblouit. A trop haute dose il fatigue, mais il est loisible de le lire avec discrétion.

La guerre n’a rien changé à ses façons coutumières. Son esprit n’en a pas été assombri. Toutefois, si nous autres Français éprouvons quelque gêne devant son entrain, nous n’avons pas à craindre avec lui les impiétés patriotiques de Bernard Shaw. Nous nous sentons rassurés par une entière conformité de vues et de sentimens sur tous les points essentiels. Lui et nous avons mêmes amis et mêmes ennemis, mêmes amours et mêmes haines.

Dès le début de la guerre, Chesterton écrivit un article assez considérable sous ce titre : Comment l’Angleterre en est venue à s’y mettre. Il y justifiait contre les pacifistes entêtés la participation de l’Angleterre au conflit. Son argumentation s’y fonde tout simplement sur la sainteté des traités. Loin d’accepter