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des fantaisies de Barrie, de Stevenson, de Charles Lamb, etc. Et nécessairement il y a des extraits de Shakspeare : celui-ci (qui n’est pas sans à-propos) où Falstaff passe en revue les extraordinaires villageois éclopés et malingres qu’il a recrutés économiquement avec l’argent du Roi. Et cet autre qui surprend un Français, si large et si libre que nous concevions le choix des textes pour le front. C’est cet endroit d’un des drames historiques où le pieux roi Henri VI assiste, sans y prendre part, à la bataille qui décidera de sa couronne. Sa terrible femme, Marguerite d’Anjou, l’a obligé à se tenir à l’écart, parce que sa présence gâterait tout. Et dans son désœuvrement, à quelques pas de ceux qui luttent, Henri se met à dire son horreur de la guerre, son souhait d’une vie pastorale. Il décrit avec une envie complaisante les douceurs simples de cette vie qui est l’antithèse de celle du guerrier :


La victoire soit à qui Dieu voudra !...
Je voudrais être mort, pourvu que ce fût la volonté du bon Dieu,
car qu’est donc ce monde, sinon chagrin et malheur ?
Ciel ! ce serait une heureuse vie, me semble-t-il,
de n’être rien de mieux qu’un simple berger,
assis sur une colline comme moi en ce moment,
et qui s’amuse à faire de curieux cadrans solaires
pour voir comment s’écoulent les minutes.


Et tout de même, ce passage qui est du plus naïf et du plus élémentaire antimilitarisme doit produire un bizarre effet sur le Tommy qui subit un bombardement ou va être convié à un assaut...

Dans cette vingtaine d’extraits, un seul est en harmonie avec les circonstances, ressemble à un appel au courage et à la ténacité. Il est même si à propos qu’il mérite une mention. Il est tiré d’un roman de Bullen qui s’appelle la Croisière du Cachalot. Il retrace la fin d’une baleine géante, chassée par l’équipage d’un canot. L’énormité du monstre, l’apparente folie de ces quelques hommes qui entreprennent sa capture, les premiers coups de harpon enfoncés dans le mastodonte, sa plongée profonde, interminable, où il semble devoir entraîner le frêle esquif dans l’abîme, sa réapparition brusque et menaçante, les battemens de sa formidable queue capable de tout briser, de tout engloutir, le sang-froid de cette poignée de marins qui évitent ses assauts et affrontent les minutes périlleuses avec la