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pour le psychologue et le médecin, mais incapable d’exercer une influence réelle sur les destinées de l’humanité ?

Il serait, au plus haut point, imprudent de transformer ainsi une réalité donnée en un simple sujet d’étude médicale ou de discussion académique. Peu importe que ces idées soient plausibles ou absurdes, facilement ou difficilement réfutables. Peu importe que les cerveaux qui en sont imprégnés soient sains ou dérangés : ces idées ne sont pas demeurées à l’état d’idées. Par le dressage psychologique, par l’application savante et continue d’une organisation, non seulement matérielle, mais morale, ces idées sont, véritablement, devenues des êtres, des forces, des principes d’action. L’âme s’est faite corps, selon le mot de Heine. Or, un corps, c’est, proprement, un faisceau d’instincts, de tendances, d’habitudes, fixées, emmagasinées et organisées, de telle sorte qu’ils possèdent désormais une aptitude résistante à se conserver et à se déployer.

L’Allemagne, aujourd’hui, et, avec elle, une grande portion de l’Autriche-Hongrie, est pénétrée, jusque dans ses profondeurs, par la manière de penser, de juger, de vouloir, de sentir, que lui a inculquée la domination prussienne. Prétendre la ramener à l’état intellectuel et moral où elle se trouvait, alors qu’elle n’avait pas succombé à cette influence, est un rêve. Il serait vain de nier la capacité interne de relèvement et de concentration d’un pays pour qui les dates de 1648 et de 1806 ont été le recul qui prépare un élan nouveau. Et la puissance des méthodes pédagogiques allemandes est suffisamment démontrée par la profonde ressemblance intellectuelle et morale qui caractérise aujourd’hui tant de populations d’origines et de traditions si différentes. Que d’Allemands célèbres, que de villes allemandes considérables, dont le nom, plus ou moins déguisé, est d’origine slave, ou latine, ou celtique ! Si, dans certains cas, cette origine a laissé des traces, ou même se traduit par une résistance vigoureuse à la germanisation, dans nombre d’autres l’empreinte allemande paraît singulièrement profonde.

Au lendemain comme à la veille de la guerre, ce type immanent d’intelligence et de volonté, qui, comme une sorte d’âme commune, a créé le germanisme, subsistera. L’Allemagne ne changera, si elle doit changer, que par une révolution morale et intérieure. Cette révolution, qui peut dire si elle se produira ?