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savons que la pédagogie divine, pour éduquer les hommes, commence par les traiter par la crainte. Timor Domini initium sapientiæ. Pareillement, l’Allemagne doit être, tout d’abord, la terreur des nations. C’est pourquoi, constamment, ou elle leur fait la guerre, ou elle les en menace. Elle les tient en présence de cette alternative : servir ou périr. Bien qu’à défaut de la guerre elle emploie, d’ordinaire, la menace, elle sait aussi recourir aux moyens séducteurs. C’est, volontiers, une tête à double face, qui, d’un côté, se fait aimable, gracieuse, kokettirend, comme on dit en allemand, pour promettre aux nations raisonnables sa protection, et qui, de l’autre, revêt un masque effrayant, pour intimider les indociles.

L’Allemagne, d’ailleurs, ne veut pas la guerre pour la guerre, elle est sincèrement pacifique. Mais elle se tient toujours, bien réellement, prête à faire la guerre. Et quand il lui semble que, décidément, les nations deviennent insolentes (Als die Römer frech geworden, dit la chanson), quand elle craint que la prolongation de la paix n’amollisse ses sujets, elle applique résolument la grande loi naturelle et divine, qui veut que la paix ne soit jamais que la conclusion d’une guerre, et ne se puisse maintenir que renouvelée par des guerres opportunes.

La guerre est, d’ailleurs, conduite selon les vues de la Providence, avec toute la violence de l’état de nature, sans aucun égard aux protestations des âmes sensibles et féminines. Ls guerre est menée par l’Etat prussien, lequel est au-dessus de cette médiocre morale de la personnalité humaine comme fin en soi, où s’attarda Kant, mais qui n’a qu’une valeur relative, et ne concerne, en tout cas, que les individus. L’Etat prussien, suprême réalisation du divin, ne peut être obligé qu’envers lui-même. C’est dire que son devoir est de n’admettre, en face des autres Etats, d’autre loi que la force, et, par tous les moyens, de se rendre toujours plus fort. Sa tâche est d’organiser l’Allemagne, puis le monde, et de recréer l’humanité. Il en est de son œuvre comme des grandes cathédrales du Moyen Age. Qui s’inquiète aujourd’hui des misères, des bassesses, des injustices, des crimes, des atrocités qui ont pu se mêler au travail pieux dont elles sont issues ? Qu’est-ce que les individus, au regard de l’œuvre anonyme et grandiose, qu’ils construisent sans la comprendre ? Les individus retombent