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encore, fait, de la lecture de ses ouvrages un véritable régal intellectuel. »

Comme elle élimine, ou interprète à sa manière, tout ce qui n’est pas allemand, ainsi la pédagogie allemande accumule et met en valeur tous les moyens positifs et directs dont elle peut disposer pour former des esprits exclusivement germaniques. Gymnastique, grammaire, arithmétique, géographie, danse, histoire naturelle, langues et littératures étrangères, travail, jeux, lectures, promenades, solennités, religion, ripailles : tout exalte l’Allemagne, la montre unique et inégalable. Et tout dresse l’Allemand au mépris et à l’exploitation de l’étranger.

Nulle étude n’est plus remarquablement adaptée à cette fin que celle de l’histoire. Le rôle essentiel que joue dans la pédagogie allemande le procédé éliminatoire est ici particulièrement visible. Tous les livres d’histoire que l’on met entre les mains des écoliers sont intitulés : Weltgeschichte, « Histoire universelle. » Or, la place qu’y tiennent les nations autres que l’Allemagne est extrêmement restreinte, et tout ce qui, bien qu’étranger, y est admis, est systématiquement déprécié. Au contraire, le rôle de l’Allemagne est mis en relief et grandi d’un bout à l’autre. Toute l’histoire est orientée vers le règne universel de Dieu, c’est-à-dire de l’Allemagne, sur la terre.

L’histoire est partagée en deux périodes, dont l’une n’est qu’une introduction : avant et après la rencontre de Rome avec la Germanie. Et les étapes de l’histoire de l’univers, à partir de la victoire de Hermann sur Quinctilius Varus, sont marquées par les noms d’Othon le Grand, Luther, Frédéric II, Bismarck. En 1864, commence la phase dernière et définitive de l’histoire. A partir de la guerre de l’Allemagne contre le Danemark, en effet, l’histoire de l’univers marche d’un pas sûr, sans plus s’attarder en de fastidieux détours, vers ses destinées providentielles. Aussi l’enseignement de l’histoire universelle dans les écoles allemandes partira-t-il désormais de l’année 1864 après Jésus-Christ. Un éminent zoologiste anglais, M. Chalmers Mitchell, dans un livre remarquable, intitulé Evolution and the War, 1915, trouve que l’histoire, ainsi travaillée, filtrée, aseptisée, ensemencée, ressemble moins à ce que nous appelons l’histoire, qu’à un bouillon de culture psychologique.

L’Allemagne est l’éducatrice du monde. Mais les peuples ne sont pas, tout d’abord, disposés à lui reconnaître ce rôle. Nous