Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes les influences qui seraient de nature à provoquer ou à maintenir les tendances antagonistes. D’autre part, elle rassemble et fait converger toutes les influences propres à déterminer l’état d’esprit qu’il s’agit de produire. Créant ainsi un véritable monoidéisme, elle rend impossible la délibération, source de scrupules et d’hésitations, et elle assure à l’action la décision et la plénitude, qui lui confèrent toute sa puissance.

A considérer dans ses détails l’éducation allemande, on la voit constamment régie par de tels principes. Les écoliers allemands sont soigneusement prémunis contre la tentation de connaître directement les choses étrangères. Celles-ci, estime-t-on, ne peuvent être vues telles qu’elles sont en réalité que si elles sont aperçues à travers les lunettes allemandes. C’est, actuellement, en Allemagne, un axiome fondamental, que les Allemands n’ont rien à apprendre des étrangers.


Wir sind die Meister aller Welt :


« Nous sommes les instituteurs de l’univers, » lit-on dans un recueil de couplets composé à l’usage des soldats allemands de 1914, et intitulé : Der deutsche Zorn, « La colère allemande. »

On apprend aux Allemands à se placer, pour apprécier tout ce que peuvent dire les étrangers, au point de vue indiqué dans une célèbre épigramme de Schiller :


Du willst wahres mich Ichren ? Bemühe dich nicht : Nicht die Sache
Will ich durch dich, ich will Dich durch die Sache nur sehn.


« Tu prétends m’enseigner une vérité. Ne te donne pas tant de peine. Je ne songe pas à voir la chose à travers toi, mais toi seul à travers la chose. » Dans la philosophie de Descartes, dans la tragédie de Corneille et de Racine, dans les principes de la Révolution française, l’Allemand ne saurait voir autre chose que des documens, qu’il emploiera à définir l’esprit français. De la valeur de ces œuvres au point de vue de la vérité, de la beauté ou de la justice, il ne saurait être question. Voici, par exemple, la signification de la philosophie de Descartes, telle que la dégage le professeur Wundt, à la page 21 de l’ouvrage cité plus haut : « Descartes manifeste merveilleusement le talent qu’ont les Français de dissimuler, sous une rhétorique admirable, la faiblesse de leur pensée. Il pratique cet art de la persuasion avec une maîtrise de styliste, qui, aujourd’hui