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La première condition à remplir, pour réaliser le plan allemand, c’est d’en inculquer l’idée aux esprits allemands, de telle sorte que ceux-ci ne puissent plus penser, juger, comprendre, fonctionner, que sous l’action de l’idée allemande. Or, ce résultat peut être obtenu, grâce à une science pratique dont la philosophie allemande permet, mieux que toute autre, de formuler les principes : la pédagogie. Les nations latines s’en tenaient, pour former l’homme, à ce qu’elles appelaient l’éducation. Celle-ci prenait pour point de départ la nature humaine, ses dispositions, ses tendances, ses aspirations, Elle était, par suite, un mélange intime de science et d’art, de méthode et de liberté, et elle ne prétendait pas à réaliser son objet avec l’infaillibilité d’une technique purement scientifique. Or, l’Allemagne veut une éducation qui produise une forme d’esprit déterminée, comme la décarburation de la fonte produit de l’acier : « Il nous faut, dit Fichte, dans ses Discours à la Nation allemande, une éducation qui engendre, d’une façon nécessaire, la nécessité que nous avons en vue. Il s’agit de créer dans l’homme, infailliblement, une volonté infaillible. » Nul égard donc ne sera accordé au libre mouvement de la nature, aux sentimens des individus. Seules, seront prises en considération les lois du mécanisme psychique, telles que les établit la science allemande ; et ces lois seront employées à créer, chez les individus, la manière allemande de penser, comme le sont, dans l’industrie, les lois physiques, pour obtenir tel résultat matériel. Ainsi entendue, la pédagogie mérite évidemment d’être distinguée, par son nom même, de la classique éducation.

Telle est la méthode que l’Allemagne substitue à l’éducation gréco-latine. Quel usage en fera-t-elle ?

L’objet qu’elle se propose est de modeler les cerveaux, de telle sorte qu’à toute impression qu’ils reçoivent réponde automatiquement le réflexe voulu, le réflexe prussien, ou, en langage actuel, le réflexe allemand. La tâche dont il s’agit peut être définie la création d’un certain instinct. Or, un instinct, c’est une tendance, une et strictement déterminée, qui, n’étant tenue en échec par aucune autre, se déploie, dès qu’elle est sollicitée, immédiatement et irrésistiblement. Pour créer une pareille tendance, la pédagogie allemande procède par une sélection minutieusement appropriée. D’une part, elle élimine