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Dans cette philosophie, la Réforme allemande, la mystique allemande, et, par-dessus tout, la manière allemande d’approfondir les problèmes ont agi d’une manière beaucoup trop vivante, pour qu’elle pût prendre racine dans le sol français. » C’est ainsi que tout ce qui est allemand passe la compréhension des autres peuples : la religion allemande, la morale allemande, la musique allemande, la poésie allemande, la science allemande, la noblesse de l’âme allemande.

Il n’en est pas, d’ailleurs, de l’égoïsme allemand comme de celui des autres peuples. Quand il s’agit de l’Allemagne, l’absolu égoïsme ne fait qu’un avec l’absolu dévouement à l’humanité, parce que l’Allemagne est le sel de la terre, et que tout ce qui lui profite rejaillit, comme une bénédiction, sur le monde entier. L’Allemagne a le devoir moral de se suffire, de ne penser, de n’agir que pour elle-même et par elle-même. Seule elle possède ce caractère de fin en soi (Zweck an sich selbst), que Kant, sous l’influence de l’individualisme français, croyait devoir attribuer à toutes les personnes., humaines et à toutes les nations. Les nations ne sont dans la droite voie que si elles jouent, à l’égard de l’Allemagne, le rôle de moyens et d’instrumens.

A l’Allemagne doit être réservée la force, par laquelle seule la paix et la justice peuvent être réalisées parmi les hommes. Dominées par l’Allemagne, les nations posséderont les vrais biens, qu’elles ne sauraient conquérir par elles-mêmes : la sécurité, l’ordre, la méthode, le rôle qui convient à leur capacité et à leur valeur, les moyens de tirer le meilleur parti de leurs ressources et de leurs facultés. Contribuer, comme organes subordonnés, à l’existence et au développement d’un organisme supérieur, c’est, pour les vivans, une condition plus haute que de former, en demeurant isolés, des organismes individuels, indépendans et élémentaires.

La première phase de la régénération consiste ainsi, pour les peuples, à abdiquer leur indépendance, pour s’élever à la dignité d’instrumens de la volonté allemande. Mais il est une perfection plus haute encore, à laquelle la magnanimité de l’Allemagne leur permet de prétendre. L’Allemagne n’est pas seulement l’incarnation de l’unité, elle est encore, et elle est seule, le principe de la vraie liberté. Elle possède et elle peut communiquer cette liberté, qui consiste, non à disposer de soi, à