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c’est seulement parmi les horreurs d’une guerre à mort que l’Idée pourra revêtir la force matérielle dont elle a besoin pour s’imposer aux nations rebelles, entêtées de leur indépendance.

Combattre les latins, construire et faire triompher la théorie d’une culture morale, religieuse, intellectuelle, opposée aux principes de la civilisation classique : telle est la tâche qui incombe à l’Allemagne.

Or, l’idée gréco-latine, c’était celle de l’homme, comme possédant une vertu et une valeur propre, et comme susceptible d’accroître cette valeur en faisant effort pour se rapprocher de l’idéal de vérité, de beauté, de justice et de bonté que conçoit la raison humaine :

Ὡς χαρίεν ἐσθ’ ἄνθρωπος, ὃταν ἄνθρωπος ᾖ !

« Quelle chose aimable que l’homme, quand il est vraiment homme : » ainsi Ménandre a-t-il formulé la pensée grecque.

L’idée allemande, donc, ce sera la négation de toute valeur et de toute vertu propre à l’homme en tant qu’homme, ce sera la concentration dans le Tout, comme unité, comme réalité substantielle et supérieure, de toute vertu, de toute puissance, de toute excellence ; et ce sera la réduction des personnes humaines à la condition de simples parties inertes, recevant du Tout qu’elles composent toute leur activité, toute leur valeur toute leur réalité.

Et, d’autre part, comme la pensée grecque avait vu, dans le mal, dans la barbarie, dans la brutalité, des formes vicieuses de l’être, que la civilisation devait tendre à diminuer et faire disparaître, la pensée allemande érigea le mal, la violence, la destruction en élémens intégrans du Tout absolu et divin. Bien plus, elle conçut le bien, la paix, la lumière, comme ne pouvant être engendrés que par le mal, par la guerre, par les ténèbres. Dieu ne sera, que s’il est créé par le diable, à qui seul appartient la puissance créatrice ; et il ne subsistera, que si le mal subsiste pour le recréer éternellement. S’il cessait d’être stimulé par Méphistophélès, Faust, instantanément, se reposerait ; et, le jour où il appellera le repos, il mourra. L’homme est ingrat envers le péché, envers le crime : il ne comprend pas qu’il est indispensable de pécher pour devenir juste : Sündig müssen wir werden, wenn wir wachsen wollen, dit la Magda de Sudermann : « Nous devons pécher, si nous voulons croître. »