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Et tout se passe comme si une Providence allemande menait fatalement les âmes allemandes vers le but qu’elle leur a marqué. C’est ainsi que 1813, 1864-66-71, 1914 sont, au point de vue allemand, les momens successifs, logiquement enchaînés, d’un même processus dialectique. En 1813, le moi allemand s’affranchit du joug étranger. De 1864 à 1871, il se constitue comme puissance en s’unifiant intérieurement. En 1914, il inaugure son mouvement d’expansion. A mesure que les événemens se déroulent, ils sont interprétés comme la révélation et la réalisation progressive du plan conçu par la conscience allemande. Les individus se sentent les instrumens, élus et passifs, d’une volonté supérieure. ils ne pensent plus, ils n’agissent plus pour eux-mêmes et par eux-mêmes : l’idée allemande se réalise en eux et par eux.


En quoi consiste ce plan, conçu et voulu par la pensée et la volonté allemandes comme par un être qui, effectivement, planerait au-dessus des individus, et du dedans susciterait leurs pensées et leurs actes ?

Ce plan est l’histoire abrégée de l’univers ; c’est la série des momens par lesquels celui-ci doit nécessairement passer pour accomplir sa destinée.

La première phase est le chaos (das Mannigfaltige) : les forces dont se compose l’univers agissent d’abord comme si chacune existait seule, comme si chacune était douée d’indépendance et de libre arbitre. Dépourvues de toute coordination, de toute organisation, ces forces n’engendrent que des assemblages éphémères, et elles détruisent, d’elles-mêmes, leurs incohérentes productions.

Le second moment est l’apparition, au sein de cette diversité et de cette instabilité radicales, de l’idée, de la pensée, de la conscience (Begriff). Ce n’est pas du dehors, et comme par miracle, que l’idée vient planer au-dessus de l’abime où les forces s’entre-choquent. C’est du fond de l’abime lui-même, grâce à la guerre que les élémens se livrent naturellement entre eux, qu’à l’heure fixée par le destin, l’idée surgit. Au sein même du désordre, en effet, certaines combinaisons se montrent plus résistantes, plus puissantes que d’autres. L’idée est la conscience de la raison pour laquelle ces combinaisons possèdent