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l’origine première de ces idées allemandes, dont l’historien constate l’influence ? Nul ne peut le dire : au fond de l’âme humaine la pensée, la volonté, le sentiment, sont intimement unis, et, constamment, agissent et réagissent l’un sur l’autre. Mais il n’est pas douteux que la pensée proprement dite, la pensée consciente, ne soit, par elle-même, capable d’influence ; et, de cette efficacité, l’Allemagne nous offre un exemple particulièrement remarquable.

A partir de 1648, nous voyons les penseurs allemands s’appliquer, de plus en plus systématiquement, à implanter dans l’âme allemande cette idée, que l’état de morcellement où se trouve l’Allemagne et sa dépendance à l’égard de l’étranger sont contraires à son génie et à sa destinée, et que, unie et consciente de son originalité, l’Allemagne pourra défier l’univers, en attendant qu’elle le domine. Cette idée, qui sera le thème de la chanson : Deutschland über alles, de 1841, n’était pas, au XVIIe siècle, la traduction du mouvement des faits, puisque l’Allemagne, alors, était radicalement et, semblait-il, irrémédiablement divisée : c’était une réaction de l’esprit contre le fait. Et c’est de l’esprit allemand que, peu à peu, par l’utilisation des événemens, cette pensée est descendue dans le monde des réalités.

Pour se rendre compte de la manière dont s’est produite cette évolution, il n’est pas inutile de considérer certaines notions, étranges au premier abord, qui jouent un rôle capital dans la philosophie allemande ; je veux parler des notions de conscience transcendantale, de finalité inconsciente et immanente, d’universel concret, de volonté inhérente au Tout. Ces concepts sont des expressions diverses de cette idée, que les consciences individuelles peuvent être guidées, gouvernées, modelées, à leur insu même, par un plan idéal, qui, plus réel qu’elles-mêmes, les domine, les pénètre, et, en quelque sorte, les recrée. C’est ainsi que, pour David Strauss, ce n’est pas le Jésus du monde visible qui a fondé le christianisme et qui en est l’âme et la vie : c’est le Jésus idéal, seul véritablement capable de perfection, d’être et de puissance. Le plan allemand, la loi de réalisation de ce plan, la méthode suivant laquelle les événemens seront exploités en vue de cette réalisation : autant de forces vivantes qui agissent sur les consciences allemandes, et avec lesquelles ces dernières peuvent et doivent s’identifier.