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de ceux qui ont connu l’Allemagne avant 1870, à une époque où ses destinées ne paraissaient pas encore définitivement fixées. Alors, certes, les tendances multiples d’autrefois étaient déjà visiblement ramenées à deux : l’Allemagne au-dessus de la Prusse, la Prusse au-dessus de l’Allemagne ; et, entre deux thèses telles que celles-là, nulle conciliation n’était plus possible. Mais on pouvait encore se demander si, de ces deux tendances contradictoires, ce serait la seconde qui l’emporterait. Après 1870, le doute ne fut plus permis.


L’Allemagne actuelle n’est pas la continuation pure et simple de l’Allemagne d’autrefois. Ce n’est pas, non plus, l’effet fatal d’un développement spontané. C’est une détermination, contingente, en quelque mesure, des tendances séculaires de l’âme allemande. Comment s’est produite cette détermination ?

On a souvent répété, dans ces derniers temps, le mot de Frédéric II : « Je prends d’abord, je sais qu’il se trouvera toujours des pédans pour démontrer que j’étais dans mon droit. » Selon cette manière de considérer les choses, c’est uniquement dans les instincts, les appétits, les forces impulsives agissant au sein de l’âme allemande qu’il faudrait chercher l’explication de la conduite tenue par les Allemands. En vain ceux-ci mettent-ils en avant des idées, des principes, des raisonnemens, qu’ils nous donnent pour les motifs et les causes de leurs actions. On se refuse à admettre que de tels actes puissent réellement procéder, à quelque degré que ce soit, de la raison, et l’on s’en tient à cette commode maxime : la pensée n’est que le reflet de l’action. On suppose donc que les théories allemandes dont le monde s’étonne ne sont autre chose que la justification, essayée après coup, d’une pratique à laquelle aucune idée réfléchie et sérieuse n’a, réellement, présidé. Et l’on conclut que, si, quelque jour, les Allemands sont matériellement empêchés de satisfaire leurs instincts violens, toutes ces doctrines scandaleuses se dissiperont comme par enchantement. Cette interprétation sommaire est-elle conforme à la réalité ?

En d’autres pays, peut-être, les idées sont, à l’égard des faits, des manifestations, des épiphénomènes, plutôt que des causes. En Allemagne, elles ont certainement agi. Quelle fut