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la répugnance à la conciliation, pour le désir insatiable de possession et de domination dont elle a doté l’âme humaine. L’homme veut la concorde ; mais la nature sait mieux que lui ce qui lui est bon : elle veut la discorde. » Goethe termine son Faust par ces mots fameux : « L’éternel féminin (et, par là, il entend, ce semble, l’amour qui se donne jusqu’au sacrifice) nous tire à lui vers les cieux. » Mais l’agent de la rédemption de son Faust, c’est, en fait, Méphistophélès, c’est-à-dire le diable, le mal. Du mal seul peut naître le bien : telle est, dans ce poème, la loi d’airain du monde réel. « Ne crains pas de te présenter devant moi, dit le Seigneur à Méphistophélès. J’ai plaisir à te voir. L’homme n’a que trop de propension à s’endormir. C’est pourquoi je lui donne pour compagnon un diable, dont l’office est de le stimuler. » Le mal est, dans le Faust de Goethe, la condition, la source même du bien ; le mal est bon, car du mal, même voulu comme fin, le bien sort nécessairement. « Je suis, dit Méphistophélès, une partie de cette force, qui veut toujours le mal, et toujours produit le bien. »

Est-ce à dire que l’Allemagne actuelle procède, en droite ligne, de Kant et de Gœthe ?

Telle que l’avaient faite les Luther, les Leibnitz, les Kant, les Gœthe, les Beethoven, la pensée allemande était multiple, diverse, remarquablement riche. Aux principes que nous avons énoncés, d’autres, très différens, faisaient, dans une certaine mesure, équilibre. Peu scandalisée par la contradiction, parce qu’elle goûtait cette doctrine, qu’un esprit supérieur sait réunir en une synthèse transcendante les principes mêmes que la raison vulgaire juge incompatibles, la pensée allemande cultivait avec la même ardeur l’idéalisme et le réalisme, l’objectivisme et le subjectivisme, l’art et la vie pratique, les parties basses et les parties nobles de la nature humaine.

Or, à partir de 1648, date du traité de Westphalie, à travers 1806, 1813, 1815, 1864, 1866, 1870, l’Allemagne a opéré, parmi les divers principes qu’elle nourrissait, une sélection. Laissant tomber ceux qui ne répondaient plus à son actuelle disposition d’esprit, développant les autres d’une manière exclusive et systématique, elle en arriva à différer très réellement d’elle-même. Ainsi s’explique l’étonnement douloureux, et comme incrédule, qu’éprouvent aujourd’hui nombre