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par des argumens de cette sorte, c’est une chose attristante. Elle procède de la même mentalité naïve qui prétendrait exclure l’allemand de nos écoles. Assez de choses tuent en ce moment en France, sans y ajouter le ridicule.


Pour finir et à bout d’argumens, on a soutenu qu’il n’était point besoin d’une loi pour obtenir le résultat cherché par le projet Honnorat, et qu’il suffirait d’imposer aux administrations, aux commerçans et industriels, aux particuliers de changer l’horaire de leurs occupations habituelles et de se lever et de se coucher une heure plus tôt. Mais ces mesures administratives seraient inefficaces et révolteraient tout le monde, car elles violenteraient les mœurs et les habitudes ; le projet Honnorat au contraire est un artifice qui respecte toutes les habitudes, tous les emplois du temps coutumiers, un « truc, » si j’ose employer ce mot, qui tourne la difficulté au lieu de la heurter de front. Allez donc imposer par des règlemens à un industriel, à un ouvrier, à une Parisienne d’allonger d’une heure le temps qui sépare son lever de son repas, de diminuer d’autant celui qui sépare son dîner de son coucher ! Mais si, subrepticement, une belle nuit, vous avancez leur pendule d’une heure, vous aurez obtenu, sans rien brusquer dans leurs habitudes, qu’ils vivent une heure de plus au soleil : le lendemain, ils n’apercevront même plus le changement.

Il est au cadran solaire de la vieille Sorbonne une devise charmante : Sicut umbra dies nostri. Mais encore que gracieuse, la comparaison ne me paraît pas exacte. La vie est peut-être moins pareille à une ombre passant dans de la lumière qu’à un de ces rayons de soleil qui pénètrent dans une cave par un soupirail, et où soudain étincellent des myriades de poussières. Celles-ci dansent en tous sens, jouets inconsciens du milieu qui les baigne, puis, le rayon d’or envolé, disparaissent à jamais dans l’ombre sépulcrale. Supposez-les douées du pouvoir de tourner un instant avec l’évanescente lumière : elles auront vibré plus longtemps dans son vivant frisson.


CHARLES NORDMANN.