Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la lettre des conventions faites, régiment contre régiment.

Le début de celle-ci est pareil à celui de tant d’autres. Passage par un point initial vers lequel convergent de toutes les parties du cantonnement les compagnies et les batteries ; chacune de ces unités a calculé son départ, elle passe au point à l’heure dite et la colonne se trouve formée, sans arrêt et sans retard. Marche en colonne pour gagner le terrain de la manœuvre : ce terrain est choisi d’après les circonstances topographiques qui peuvent ajouter à l’intérêt de l’opération. Il arrive aujourd’hui que ces circonstances sont tout à l’avantage du parti adverse. Il occupe à l’Est du ruisseau de la Rimarde une position qu’en littérature on pourrait dire « inexpugnable, » mais le style militaire n’aime pas les adjectifs et je me garderai bien de la qualifier ainsi. J’accompagne : et de même qu’en musique le rôle d’accompagnateur est un rôle sacrifié, de même en artillerie la mission que je vais remplir est de celles qui passent pour ingrates et sans agrément. Le fait est que je me trouve à une de ces chiennes de positions comme on n’en voit qu’en Beauce ; avec ses 122 mètres de relief, elle occupe sur la carte d’état-major un grand blanc impressionnant ; elle domine une plaine découverte dont les points les plus haut cotés ne dépassent pas 104 mètres, au Péage, 113 à Anorville, 118 au Moulin de la Montagne. Cette différence d’altitude assure au défenseur des vues sur tous nos mouvemens, elle entrave notre marche, qui ne pourra se faire que par circuits, détours, et qu’encore au prix de beaucoup de fatigue et de beaucoup de temps, on ne peut se flatter de défiler entièrement.

Il va sans dire que l’autre a de l’artillerie à la cote 122, que cette artillerie placée en contre-bas derrière la crête, échappe entièrement à nos vues et par suite à nos coups ; que placée là aux aguets, avant que nous n’ayons débouché dans la zone dangereuse, elle a su exploiter l’avantage de cette priorité dans le temps ; elle a étudié son champ de tir, fouillé à la lunette, décomposé, craticulé ; des croquis perspectifs, sorte de schémas, qui donnent le tracé des crêtes et graduent ce tracé ; l’amplitude des déplacemens faits par l’œil dans son tour d’horizon prépare le transport de son tir : elle est prête enfin à exploiter contre nous tous les avantages inhérens à la forteresse naturelle qu’elle occupe au sommet du terrain.

Mon rôle ardu sera d’accompagner le régiment qui marche