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temps de crise du papier, qu’il a suscitées. D’où provient cet immense mouvement d’intérêt passionné dans une question dont, encore une fois et heureusement, le sort du pays ne dépend qu’en une faible mesure ? D’abord de ce qu’il s’agit d’un des rares problèmes dont on puisse, à l’heure qu’il est, disputer sans entendre aussitôt un terrible cliquetis de ciseaux. L’opinion publique est un peu comme ces sultanes prisonnières en de voluptueux sérails et qui aiment d’autant plus passionnément les cigarettes qu’aucune autre distraction ne leur est possible. Mais il y a autre chose aussi dans toutes les controverses un peu byzantines qu’a soulevées cet anodin projet : il y a la crainte que, par quelque côté, il ne porte atteinte à nos mœurs, à nos douces et chères habitudes qui sont, par un privilège unique, d’autant plus aimées que cet amour est plus ancien. Nous sommes ainsi faits qu’une révolution, une guerre, un cataclysme historique énorme, mais passager, nous émeuvent moins à certains égards que des modifications légères, mais permanentes, de nos us et coutumes. Il y a plus de sagesse qu’on n’imagine dans cet état d’âme. Il y a le sentiment de ce que la géologie moderne a si bien mis en évidence à l’encontre du catastrophisme de Cuvier : la prépondérance dans l’évolution des choses, des actions faibles, mais continues, sur les phénomènes intenses mais accidentels. Mais l’avancement de l’heure légale toucherait-il vraiment à nos mœurs ? C’est ce que nous verrons dans un instant.

En tout cas, les questions de ce genre ont toujours soulevé les passions : lorsque l’Angleterre décida de faire commencer l’année au 1er janvier, et non plus à Pâques, comme on faisait jadis et que lord Chesterfield décida que le 1er janvier 1751 on compterait 1752, le peuple fit une émeute, voulant écharper le noble lord, aux cris mille fois répétés de : « Rendez-nous nos trois mois ! » Ce fut une belle et imposante manifestation ouvrière. Pourtant, la Parque infernale qui déroule et coupe je ne sais où le fil des choses dut en sourire, si elle a l’occasion de lever le nez de dessus ses ciseaux. Elle sait en effet que la fuite du temps ne dépend pas plus de l’étalon dont on la mesure que notre taille du mètre employé.


Voici d’abord comment est né le problème actuellement pendant.

De tout temps les actes de la vie humaine ont été réglés plus ou moins sur le soleil. Celui-ci était non seulement le père nourricier de cette vie, mais il en était le régulateur, et les lois de son mouvement