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Camus : « Eh bien ! est-ce là un si mauvais exemplaire à imiter ? » Saint François n’admettait point de Camus sans joyeuseté : « Joyeuseté à part, vous vous gâtez ! Si les naturels se pouvaient changer, que ne donnerais-je pas de retour pour un tel que le vôtre ? Vous allez à pleines voiles, et moi à la rame ; vous volez, et je rampe ou me traîne comme une tortue. Vous avez plus de feu au bout du doigt que je n’en ai en tout le corps... Et maintenant, vous pesez vos mots, vous comptez vos périodes, vous traînez l’aile, vous languissez et faites languir vos auditeurs. Est-ce là cette belle Noémi du temps passé ? » Camus se le tint pour dit ; et il n’essaya plus de dissimuler son humeur, qui était fougueuse et folâtre. Il défendit les jésuites contre tous leurs adversaires et avec tant de passion véhémente qu’il fut au point de les compromettre : prudens, les jésuites le supplièrent de modérer son obligeance. Il avait en estime particulière Ignace de Loyola et, je ne sais comment, trouvait, dans les Exercices, le modèle d’ « une spéculation si simple, si humble, si naturelle, si aisée ! » Puis il faisait de Ronsard ses délices. Il a écrit beaucoup de romans et, notamment, Palombe ou la femme honorable. Autrefois, Hippolyte Rigault tâcha de les louer ; mais Sainte-Beuve se fâcha et ne permit point qu’on voulût « ressusciter ce qui n’a jamais eu vie. » Camus, s’il n’est pas un grand romancier, avait une intention gracieuse : il espérait offrir à son lecteur une gentille récréation. Et il ne craignait pas de lui conter des aventures galantes. Après cela, les pécheresses de ses romans allaient, de coutume, au repentir. Mais il ne les menait pas au repentir assez vite pour qu’on n’eût quelque récréation à suivre leur aimable erreur. M. l’abbé Henri Bremond le remarque : l’évêque de Belley, dans ses romans, prêche moins que nombre de romanciers modernes.

Que de liberté, que de franchise heureuse attestent Louis Richeome, Etienne Binet et Camus ! Comme ils ne sont ni guindés, ni farouches ! et comme leur dévotion, parfaitement sincère, ne les gêne pas du tout ! Leur croyance ne les opprime pas et n’accable ni leur méditation, ni leur gaieté. Comme ils sont variés, riches de mots, de pensée et d’audace ! Richesse et variété que bientôt réglera la discipline du grand siècle : belle discipline, sur tant d’opulence.


ANDRE BEAUNIER.