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de la mer. » Le travail de tous les artisans l’a occupé, tant il est curieux de tout connaître et content si, pour prix de sa peine, il enrichit de quelques mots techniques son vocabulaire. Comme un bon humaniste, il ne méprise pas les mots qui viennent du grec et du latin ; mais il préfère encore les mots tout vivans, les mots du peuple, les braves mots qui chaque jour sont à l’ouvrage. Il entre dans les ateliers et les simples boutiques afin d’y prendre des leçons et il, dispute avec les compagnons à dessein de leur ouvrir la bouche et de les « faire parler : » il note les tours de phrases, les mots, les maximes, les proverbes, « mille et mille secrets. » Et il assure que c’est ainsi qu’ont procédé, aux meilleures époques, les plus grands orateurs : « de là ils tiraient des comparaisons si naïves, si bien prises, que l’auditeur d’aise ne pouvait se tenir de rire et par ce sourire témoigner son contentement. » C’est aussi ce qu’il veut obtenir, Binet, de son auditeur et de son lecteur.

Camus, évêque de Belley, de qui les méchans ont médit, pourquoi lui fut-on sévère ? Il avait beaucoup de vivacité naturelle et un entrain de bonhomie qui permettrait de le comparer quelquefois, sinon à Binet, du moins à Richeome. Il a plus de retenue que Binet, dans son langage ; mais il ne manque ni de fantaisie, ni d’impétuosité. Des Ligueurs l’avaient taquiné dans leurs libelles, touchant ce nom de Camus : et le bonhomme était-il dépourvu de nez ? « Je les prie de se tirer d’inquiétude de ce côté-là : car si les grands nez donnent grand poids aux écrits, je les avise que nous avons jadis été ainsi nommés par antiphrase, et je n’en connais point en notre lignage dont le nez ne démente le nom, si bien que nous sommes ainsi nommés, comme la guerre par les Latins et les Euménides par les Grecs, à contresens et comme propres à chausser des lunettes à voir de loin l’impertinence de nos censeurs ! » On l’a calomnié ; mais il ne craignait pas la polémique et il y montrait de la rudesse. Il était impétueux de caractère, et hardi d’allure, et gaillard ; mais il eut tant d’amitié pour saint François de Sales que la douceur de son ami le gagna peu à peu, le gagna insensiblement, si bien qu’un jour il s’aperçut qu’en prêchant il imitait son ami, les gestes de son ami, la façon de parler, la façon de penser, la façon d’être doux, suave et tendre, qu’il admirait en son ami. Or tout, en saint François de Sales, était « lent et posé, pour ne pas dire pesant, à cause de sa constitution corporelle. » Et lui, Camus, était d’une autre constitution corporelle et spirituelle ; de sorte qu’il fut dès lors méconnaissable à son cher peuple de Belley : « somme, je n’étais plus moi-même ! » Saint François le sut et le lui reprocha. Et