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écrivait bien. Ou plutôt, s’il n’écrivait pas à merveille, il écrivait d’une façon jolie, attrayante, et parfois cocasse, et toujours vive. Il emberlificote souvent sa pensée ; et, ce qu’il dit, généralement, il pourrait le dire avec moins de mots. C’est qu’il adore les mots, et les adore pour leur son, leur figure, et pour les significations qu’il leur attribue avec justesse, et pour les images qu’ils font à ses yeux. Adorer les mots : il y a là de l’excès, probablement ; et il suffit de les aimer. Encore faut-il ne pas manquer à cet amour, si l’on fait métier de littérature : et c’est où pèchent maints écrivains, par une austérité fâcheuse, ou par ignorance. La littérature est un art ; elle ne doit donc pas négliger notre plaisir : et elle a tort, si elle prétend éluder toute concupiscence. Les honnêtes concupiscences de la littérature, Binet ne les refuse pas ; et il les refuse d’autant moins qu’il les emploie au salut de nos âmes, légères, volantes, et qu’on ne prend pas avec du vinaigre. Il a compté sur les belles séductions de l’éloquence et il a tourné au bénéfice de la religion les attraits d’un style opulent. Les solécismes et « vilains barbarismes » sont, à le croire, péchés de prédicateur et d’apologiste. Il a pitié des orateurs qui, adressant leur remontrance à telles gens de corporations ou de métiers, les font rire par leurs métaphores : combien d’ « affineurs » se moquent tout leur saoul, quand ils entendent, au sermon, le prêcheur affirmer « que le sang de bouc mollit le diamant et que le marteau et l’enclume se casseront plus tôt que jamais ébrécher la dureté opiniâtre du même diamant ? » Car, « il y a mille choses où, pensant faire merveille de bien dire, certes on ne dit chose qui vaille. » Premièrement, il faut savoir et s’informer. Bien parler, bien écrire, cela exige de l’étude ; et Binet n’a point épargné son étude. Il a examiné toutes les sciences, tous les métiers et, du résultat de ses recherches, composé une encyclopédie. L’on écrit et l’on parle avec des mots ; les mots sont les signes des objets : il a examiné les objets. Comme Richeome, il a examiné les fleurs : « Quelle vergogne de voir qu’on ne sait pas parler de ces belles beautés ! Quand les plus huppés ont dit la rose, le lis, l’œillet, le bouton et la feuille, ils sont au bout de leur savoir. » Comme Richeome, il a examiné les animaux et il peint joliment la course du lièvre, la pâmoison mélodieuse des rossignols et la furie belliqueuse des abeilles : « ces petites gens ne sont que feu et colère qui vole. » Il a étudié la médecine et particulièrement la pharmacie, où sont cachées, dit-il, grandes richesses d’éloquence. Il a étudié l’orfèvrerie, la vénerie et la marine : et il a visité l’une et l’autre mer, car, dit-il, « les plus riches pièces d’éloquence et de poésie sont empruntées