couleur de solitude ; » il admet que l’on soit modeste et grave, hypocondriaque non pas. Il blâme une piteuse figure et une sombre contenance, car « ce ne sont pas là les effets des sacremens, ni de la grâce qui est gaie, active, ardente, forte et toujours à cœur joyeux et à visage riant. » Binet veut qu’un homme bien dévot « fasse plus d’affaires et mieux que trois autres ; » il lui propose le modèle de Judas Macchabée qui « priait en frappant, frappait en priant et assénait plus brusquement les coups qu’il dardait après avoir poussé plus ardemment ses prières vers le ciel. » Qu’est-ce à dire ? Binet demande que la religion ne soit pas étrangère à la vie, ne soit pas un coin séparé de nos existences, un jardin clos et où il est difficile de pénétrer, où peu à peu nous n’allons plus, si nos besognes quotidiennes et peut-être aussi notre futilité nous occupent.
Or, Pascal s’est moqué de Binet, comme de tous ces jésuites. Et le grand nom de Pascal, autant que son impitoyable raillerie, accable à tout jamais « notre célèbre père Binet, qui a été notre provincial... » Pauvre père Binet, dont l’idée était pieuse et intelligente !... La religion de ce bonhomme ne contentait ni le génie de Pascal, ni sa passion de la douleur, ni son angoisse. Mais ni l’angoisse de Pascal, ni sa passion de la douleur, ni son génie ne sont à notre portée ; et, si nous l’admirons, comme les filles à qui le père Binet vantait sainte Claire admiraient cette vierge sainte, il nous est défendu de l’imiter : nous n’en sommes pas capables et notre singerie serait détestable. Et alors, que nous reste-t-il, à nous, gens de petite pensée et de commun courage ? à nous, gens qui sommes, ou peu s’en faut, tout le monde ? Absolument rien, selon Pascal : et c’est à nous que s’adresse le père Binet, charitable d’esprit, justement informé de notre faiblesse et bien résolu à ne pas mépriser notre bonne volonté. Dira-t-on qu’il a trop d’obligeance et qu’afin de ne pas nous rebuter il tempère d’une excessive indulgence les sévérités de la foi ? Je ne le crois aucunement. Sa morale, telle qu’elle apparaît dans les résumés et les citations de M. l’abbé Henri Bremond, ne me semble pas du tout relâchée, mais difficile encore et parfaitement digne d’offrir un idéal aux meilleurs d’entre nous. Qui suivrait ses préceptes avec une attentive exactitude serait un catholique sans reproche, et gai, un catholique à faire envie. Dans la querelle de Pascal et des jésuites, c’est Pascal qui est sublime ; et, la plupart du temps, ce sont les jésuites qui ont raison.
Le tort de Binet, — revenons à la littérature, — ce fut d’écrire et d’imprimer quelque deux cents volumes. Aussi ne le lit-on guère, faute de choisir dans tout ce fatras. Il écrivait beaucoup trop ; mais il