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allez pas, on vous y fera bien aller, plus vite que le pas ! » Ces façons, remarque Binet, sont inconnues au ciel, et ce n’est pas le style des anges. Et il prie les gouverneurs de nos âmes de méditer un saint exemple, celui du pape Grégoire, lequel pouvait, souverain pontife, parler à coups de tonnerre, jeter la foudre des censures et excommunications : « Mais le saint homme y va bien d’un autre air. Et dit tantôt : S’il plaisait à votre douceur... tantôt : Votre suavité agréera bien que je lui dise... Au lieu donc de répandre la grêle et les tonnerres sur la tête des humains, ce saint homme faisait rouler des torrens de miel et emportait tout... » Mais lui, Binet, sa violence ?

Eh ! la violence de Binet, ne l’a-t-on pas senti, c’est bonne humeur. Ses cris de « canaille » et « soldats d’enfer, » gaieté. La vivacité de ses réprimandes, le tapage de ses mots et les gros mots qu’il ne ménage pas, jovialité. Il avait un singulier visage, tout maigre et aux traits marqués fortement : un nez solide, les joues qui se retirent et qui dégagent bien la bouche ; des lèvres, non pas certes de gourmand, mais de bavard, fines et avançantes, sous des moustaches rases ; un peu de poil au menton, pour le terminer en pointe ; les yeux, noirs, grands, pétillans, sous le front chauve et les arcades sourcilières larges et touffues ; et une physionomie qu’on devine extraordinairement mobile, prompte à passer de la colère vraie ou feinte au rire, et habile aux mines, aux grimaces peut-être. Je crois que ce fut un plaisant spectacle et beau, Binet se démenant au service de l’Évangile avec sa pieuse ferveur et son entrain de bonté véritable.

Sa doctrine est parfaitement pure ; et, si l’on souhaite, à ce propos, un témoignage, sainte Chantal a dit de lui qu’elle n’avait pas rencontré en ce monde un esprit plus conforme à celui de Monseigneur. Et Monseigneur est saint François de Sales : on ne saurait demander à sainte Chantal un certificat meilleur. Etienne Binet fut, en sa dévotion, l’égal des saints. Mais il eut, dans sa perfection, des réserves d’indulgence et, dans sa raison, les règles d’une clémente sagesse. Comme Louis Richeome, il ne voulait pas que la religion devînt triste, hargneuse ou alarmante. Il avait soin des âmes que Dieu ne semble pas destiner dès ici-bas aux plus hautes méditations et aux vertus les plus difficiles. « Pensez-vous que tout le monde doive avoir la dévotion d’un capucin ou d’un chartreux ? » disait-il ; et, quand il avait célébré les éminentes qualités de sainte Claire, il ne manquait pas d’ajouter : « Je vous défends très expressément d’imiter cette vierge sainte ; c’est assez pour vous de l’admirer ! » Il se méfiait grandement de ces dévots qui « se rendent des droits fainéans, sous