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louer ; il est mieux fait pour condamner que pour louer. S’il a en tête, et il l’aura bien, de nous recommander les bonnes œuvres, le stratagème ne sera pas de nous attendrir sur les mérites de la charité : plutôt, il nous avilira nos motifs de cupidité ou d’épargne. Vous économisez, afin de maintenir l’honneur de votre maison, la prospérité de votre famille ? Ah ! belles dupes !... « Vous fierez-vous à vos parens ? les harpies, ô les vautours ! les loups-garous ! Ils ne vous aiment, cruels, que pour ronger barbarement votre pauvre carcasse, casser vos os félonnement et pour avidement en sucer les moelles et le sang encore tout bouillant !... » Mais vous avez des enfans qui ont droit de compter sur vous, que vous ne dépouillerez pas, que vous ne laisserez pas, vous défunt, sans ressource et pitance ? « Quelle horreur, je vous prie, qu’il faille être un voleur en sa vie, un désespéré à sa mort et un damné pour tout jamais, afin de laisser ses biens à trois petits morveux qui se moqueront de vous après votre mort et volontiers ne voudraient de leur gré donner trois carolus pour faire dire une pauvre messe pour vous qui vous êtes damné pour eux ! O grand sot de père qui se damne pour des ingrats... » Il est lancé, il est déchaîné... « pour des ingrats et possible (peut-être) bâtards ! Ne vous fiez pas à vos enfans, ce sont des voleurs ! » Voilà Binet : quel homme ! La brutalité même. Et il appelle ainsi ses auditeurs : « Venez, canailles ; venez, tous les soldats d’enfer !... » La brutalité même ; et puis, les grâces d’un bon garçon. Ce brutal a au fond de l’âme une étrange douceur, et telle que les violences de la Bible, par endroits, l’étonnent et, pour un peu, l’offenseraient. Mieux pourvu d’aménité, Richeome trouve ses délices dans le Pentateuque et les Prophéties ; le terrible Binet préfère les aménités de l’Évangile. Et il écrit : « Le Vieux Testament fut la loi de rigueur où on ne parle que de morts, que de foudres, et du Dieu des armées. Or, que gagna-t-il avec cela ? Il faisait fuir tout le monde ; personne quasi ne le voulait servir ; on aimait mieux parler à Moyse qu’à lui. Au Nouveau Testament, le Verbe incarné se nomma un agneau. Cette bénignité attira le cœur de tout le monde. » Il ne faut pas s’y tromper, Binet le terrible préfère la bénignité. Il a composé un livre Du gouvernement spirituel qui invite les gouverneurs de nos âmes à imiter nos doux gardiens les anges. Raphaël disait au petit Tobie : « « Mon petit frère, vous plairait-il que nous fissions ceci ou cela ? » L’ange n’usait pas de brusquerie à l’égard de l’enfant, ne le poussait pas, ne le tirait pas, ne lui disait : « Allez là, car Dieu le veut ainsi et qu’on se garde d’y faillir. Allons donc ! car, si vous n’y