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qu’on leur prouve la finalité ou Dieu. Que veut-il donc, Richeome ? Une gaieté innocente, et dont il remercie Dieu. Il eût écrit, comme Bourdaloue : « Mon Dieu, je suis content de vous ! » Et il écrivait aux novices de saint André : « Mes bien-aimés, (vous remercierez Dieu) nuit et jour, en santé, en maladie, en prospérité, en adversité, aux champs, aux villes, aux églises, à chaque pas que vous faites, prenant matière d’admiration, de dilection et de louange de tout ce que vous oyez et touchez en l’école de son Église et de la nature. » Le bonhomme Richeome, devancier de saint François de Sales, a aussi en lui quelque chose de l’autre saint François, — et bien qu’il eût l’horreur, souvent comique, de tous moines mendians et franciscains : — il avait pris dans sa Provence natale un peu de cette allégresse adorable que saint François d’Assise avait reçue du clair soleil d’Ombrie, du paysage lumineux, des vignes et des oliviers.

Etienne Binet, jésuite également, c’est un extraordinaire bavard, et drôle, et un saint homme. Un grand faiseur de phrases tonitruantes, et magnifiques. Un grand faiseur de vacarme : le tintamarre des mots est la musique habituelle de sa pensée. Il n’a pas beaucoup de délicatesse ; et il n’a pas du tout de discrétion. Ses abus de langage sont énormes, sont ridicules ; cependant il montre, dans le pire excès de ses diatribes véhémentes et tatillonnantes, une espèce de génie : et c’est à peine si l’on n’ose le comparer à l’auteur de Pantagruel, quelquefois. Il invective contre les catholiques imparfaits : « Où êtes-vous maintenant, catholiques de boue et de fumier ?... » Simplement !... « hommes sans âmes, et âmes sans raison, et raison sans religion, et religion sans Dieu ! Si fait, dea, vous en avez un, qui se nomme le ventre. Mais tel Dieu, tel service. Vos poumons sont son temple ; le foie, son autel, toujours couvert de sang et de voirie ; l’estomac, l’encensoir ; les fumées qui en sortent sont l’encens le plus doux ; la graisse est la victime, le cuisinier est votre aumônier qui est toujours en service, et vos inspirations ne dévalent à vous que. par la cheminée ; les sauces sont vos sacremens, et les hoquets vos plus profondes prophéties. Toute votre charité bouillonne dans vos grasses marmites ; votre espérance à l’étuvée toujours couverte entre deux plats ! » Cela est écrit par le P. Etienne Binet, jésuite, dans un ouvrage intitulé La fleur des psaumes : et, ce doux titre de manuel dévot, ces phrases-là le secouent rudement. Plutôt que de prêcher l’abstinence, Binet dénigre la gourmandise. En d’autres termes, il est mieux fait pour traiter de la gourmandise, — et fût-ce pour la condamner, — que pour traiter de l’abstinence, et fût-ce pour la