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avait apporté du Portugal. Il a vu l’oiseau cardinal du Brésil et l’oiseau dit du Paradis : « Sa tête est jaune, son col émaillé d’un vert gai, ses ailes teintes de tanné pourprin et le reste un corps d’or paillé. » Un vert gai. Richeome indique là son plaisir ; les couleurs lui sont liesse. Il a vu le combat d’une belette et d’un serpent ; et il a vu les rudesses de la police, dans la république des fourmis ; et il a vu des batailles d’abeilles, les essaims répartis en bataillons de diverse figure, carrés ou ronds, triangulaires ou en forme de croissant, « tous armés des mêmes armes, qui étaient une cote d’écaillés, et de Même courage, tous lanciers montés dessus leurs ailerons : » pendant la mêlée, ce fut, en l’air, « comme une grêle de fèves ou de balles de harquebuse donnant les unes contre les autres et tombant à terre, dru et menu. » Quel écrivain ! et qui s’amuse.

L’amusement d’écrire, Louis Richeome le pratique avec bonheur et avec une exquise adresse. Il avait composé une règle du jeu, ou rhétorique. Et, un jour, un jeune jésuite la lui demanda. Mais Richeome la refusa ; et il a détruit sa rhétorique, non qu’il fût jaloux de son secret charmant : il craignit qu’une tête « plus ingénieuse que vertueuse » n’en mésusât « pour battre l’innocence. » Incomparable Richeome, si bien averti et des délices et des dangers de la littérature ! Il en faisait, quant à lui, un bon usage, et anodin ; il ne permettait pas que son doux jeu se pervertît.

Son doux jeu, il le consacrait au bien des âmes et à leur allégresse. Mais il n’est pas un moraliste ou un prêcheur perpétuel. Quand il offre à son lecteur ses tableaux sacrés, sans doute il tâche de le rendre assidu aux livres saints ; il lui embellit l’importante lecture, afin de l’y gagner : surtout, il l’amuse, en même temps qu’il s’amuse lui-même, et gentiment. S’il peint les mœurs des animaux, ce n’est pas à la façon d’un fabuliste qui songerait premièrement à la leçon. Ses livres de ménagerie ne ressemblent point aux bestiaires du Moyen Age, très subtiles allégories et qui sont toutes destinées à révéler des « senefiances » difficiles. Le Physiologue du Moyen Age nous intime de savoir que le lion, poursuivi par les chasseurs, efface de sa queue les traces de ses pas, et que le lion est ainsi le symbole de Notre-Seigneur, lequel, descendu ici-bas, se dissimula de telle sorte que les Hébreux ont dû le méconnaître. Ces pieux rébus ne sont pas ce que cherche Richeome dans la création. Il a plus de liberté ; il a même plus de liberté que Bernardin de Saint-Pierre et les autres philosophes qui nous dévoilent les harmonies de la nature pour que nous concluions au créateur. Richeome ni ses ouailles n’ont besoin