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« Ce coursier de poil bai-doré, balzan des deux pieds, qui montre par la belle façon de tout son corsage qu’il est bien maniant et adroit et digne d’être monté d’un grand capitaine. Contemplez un peu sa tête petite, ses oreilles de rat accrestées, le front décharné et large, marqué d’une étoile droit au remoulin ; le col de moyenne longueur, grêle joignant la tête, gros vers la poitrine et doucement voûté par le milieu ; voyez comme, en mâchant superbement son frein, il jette l’écume blanche, ouvrant ses naseaux enflés et montrant le vermeil du dedans. » Voilà un cheval ! et Richeome est un connaisseur. Richeome, qui a de l’imagination, a aussi des yeux savans et attentifs.

Je disais qu’il avait deux trésors de contentement, la Bible et le Monde. Le peintre des anges, des patriarches et des interventions divines, est encore le peintre des menus objets et de toutes beautés rares ou vulgaires qui se rencontrent dans la nature. Il copie avec une fidélité patiente « la figure des glaïeuls violets quand ils sont épanis ; » il admire et note justement « la posture de leurs feuilles, dont trois alternativement courbées en arcade et jointes à la pointe, et trois autres, recourbées et couchées alternativement aussi vers la tige, faisant trois espaces vides, représentent une couronne impériale ; » et il nous prie de contempler « le velours violet de celles qui se courbent avec les petites broches rangées en long sur le mitan comme ouvrage de frise ou canatil. » Les tulipes et lys et toutes fleurs lui sont de précieux modèles ; et, les feuilles, il ne les méprise pas : il a suivi leur pathétique aventure depuis le printemps jusqu’à l’automne et il sait comment elles se développent, comment elles se tachent, se fanent, puis tombent. Il est curieux et je crois qu’il est gourmand, car il appelle les cerises « ces morceaux de gelée délicate. » Il a observé les animaux, et leur anatomie, et leur manège : une mouche, — et comme « elle entortille ses jambettes devant et derrière, les faisant passer sur sa tête et sa croupe, pour donner le fil à son bec et force à son vol, » — et comme, sur une table, elle glisse, telle « une galère poussée des avirons sur la surface de la mer. » Le dépit de Richeome est de se dire qu’il y a types de mouches et moucherons qu’il n’a pas vus. Dans ses voyages, en province ou hors de France, il ne manque pas de quêter toutes étrangetés : à Montpellier, il a vu le jardin du Roi ; et, à Bordeaux, le jardin du pieux, docte et grave président Cheysac, qui a fait venir chez soi « les Indes orientales et occidentales et les richesses de leurs fleurs ; » et, à Rome, une infinité d’autres merveilles ; et, en Avignon, l’an 1592, un caméléon qu’on