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Richeome n’est pas du tout pharisien et il met au service de la meilleure cause, très volontiers, une gaillardise de langage et de pensée très agréable. Il ne veut pas que la dévotion soit jamais triste ; — et l’on devine en lui, à cet égard, un devancier de saint François de Sales ; — il ne veut pas que la religion soit renfrognée et sourcilleuse. Il entend que notre piété nous récompense dès ici-bas, par une excellente gaieté. Tout le zèle de sa plume, quand il ne le dédie pas à vilipender les infidèles et hypocrites, il l’emploie à nous communiquer une saine allégresse. Il n’estime pas que Dieu ait créé le monde pour notre chagrin et ait inspiré à ses prophètes le texte de la Bible pour notre mélancolie. La Bible, qui est toute sagesse anticipée, et le monde, qui est toute réalité provisoire, lui sont deux trésors de contentement. Certes, il cherche dans le livre sacré la parole divine ; mais il y cherche l’occasion de s’attarder « sur quelque digne sujet, avec honnête récréation. » Ses Tableaux sacrés sont un jeu littéraire, un jeu malin, un jeu d’artiste. Il a passé des heures fines et ravissantes à dessiner, avec des mots, à dessiner et à colorier maintes scènes de l’Ancien Testament, comme ceci : « L’ange apporte à Élie sa nourriture. » Et il s’agit de peindre un ange : « Le peintre... » Et, le peintre, c’est Richeome lui-même... « Le peintre lui a fait le visage lumineux ; sa perruque volante en arrière est de couleur d’or : il lui amis aussi des ailes au dos. Vous les voyez étendues en l’air inégalement, l’une montrant le dedans et l’autre le dehors, merveilleusement belles. Les guidons d’icelles et les deux grosses pennes premières sont de couleur de ver luisant, comme celles d’un paon ; les autres de même rang sont entremêlées de jaune, orange, rouge et bleu à guise d’arc-en-ciel ; les cerceaux et petites plumes qui revêtissent les tuyaux de celles-ci et les autres qui suivent en divers ordres sont riopiolées à proportion des premières ; le duvet qui couvre le dos de l’aile est comme une entassure de menues et petites écailles de diverses couleurs mises sur du coton... » Etc. Cela dure toute une page ; et, remarque le peintre de l’ange avec bonhomie, « cependant que je parle, le bon vieillard Élie dort toujours. » Louis Richeome avait choisi un graveur habile, l’un des maîtres de l’époque. Léonard Gaultier, pour lui confier le soin d’illustrer joliment les Tableaux Sacrés. Mais le graveur n’a que du noir et du blanc ; Richeome veut de la couleur : et c’est lui-même qui l’ajoute, en son commentaire, au dessin de Léonard Gaultier. Voire, le meilleur dessin, c’est lui Richeome qui le trace, quand il faut qu’on ait sous les yeux le cheval que monte Abraham rendant visite à Melchisedech :