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M. l’abbé Henri Bremond, qui certainement s’est plu à le composer, redoute quelquefois notre ennui, de sorte qu’il se dépêche : nous l’inviterions à ne pas aller trop vite. Il craint, et avec une timidité gracieuse, d’être importun ; bref, il se méfie de notre frivolité : nous l’inviterions à ne pas nous croire tant frivoles et, par endroits, à ne pas l’être, en considération de nous. S’il écrit, d’un des personnages qu’il nous présente : « Le P. Binet a comme cela tout un répertoire de contes plaisans qui ne sont pas dans une musette, » c’est pure bonté, complaisance d’un docteur ou d’un apôtre qui veut amadouer les Gentils. Inutiles précautions : il pouvait se fier, je ne dis pas, à nous, mais à lui, et plus encore au vif attrait de la littérature singulière et charmante qu’il nous révèle.

Ses humanistes dévots sont des gens extraordinaires, que nous ne connaissions pas beaucoup ; et nous avions tort de ne pas les connaître : nous ne les oublierons pas. Des écrivains dignes de leurs contemporains succulens Théophile, Saint-Amant, Guez de Balzac ; des originaux fieffés, et qui ont, dans l’excentricité même, une délicieuse innocence ; des saints joyeux, et à qui l’on sent que la parfaite honnêteté du cœur et de l’esprit donne leur liberté admirable. Un Louis Richeome, un Etienne Binet, un Jean-Pierre Camus n’ont pas leurs pareils, pour notre louable divertissement.

Louis Richeome, le plus ancien des trois, est né en 1544, et à Digne, dont il montre de la fierté, car il inscrit à la première page de ses livres sa qualité de Provençal auprès de sa qualité de jésuite ; et, contre les Italiens qui vantent leurs citrons, il revendique tout honneur pour les prunes de Brignoles et figues de Marseille. Il eut, au collège de Clermont, les leçons du fameux Maldonat, Espagnol, « un lion en chaire, un agnet en conversation ; » puis il entra chez les jésuites, fonda le collège de Dijon qui, parmi ses élèves, comptera Bossuet. Il occupa les plus hautes charges de son ordre à Lyon, Bordeaux, fut à Rome assistant de France et mourut au premier quart du grand siècle. C’était un homme doux et capable de violence, qui aimait son prochain, les animaux et la nature et qui détestait les ennemis de l’Église, voire s’il les découvrait dans la Compagnie de Jésus. Il y a de lui des libelles farouches et, par exemple, une Chasse du renard Pasquin découvert et pris en sa tanière, toute pleine d’injures et de gros mots qu’Etienne Pasquier releva et qu’il jugea en termes tels que je ne puis les copier : jadis, un vieux jurisconsulte et un religieux accompli avaient une franchise de vocabulaire que nous interdisent les progrès du goût peut-être, et aussi les progrès du pharisaïsme.