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Ainsi sur la rive droite, le progrès de l’ennemi a été arrêté totalement le 26 février, ou au plus tard le 8 mars ; depuis six semaines, ses attaques se brisent sur un mur. Sur la rive gauche, la bataille a été commencée quinze jours plus tard, l’avant-ligne, presque nécessairement sacrifiée, a tenu beaucoup plus longtemps que sur la rive droite ; ces diverses raisons ont prolongé l’avance allemande jusqu’au 8 avril. Mais à ce moment, elle s’est à son tour brisée sur un mur infranchissable. Il y a plus : depuis le 4 avril sur la rive droite, depuis le 20 sur la rive gauche (qui accuse encore ici le même retard), les Français ont passé à la contre-offensive. Cette contre-offensive a été faite suivant le système même de l’ennemi par actions locales, limitées, bien préparées. Du Nord de l’étang de Vaux au Sud de Douaumont, au bois d’Haudremont, au Mort-Homme, nos positions se sont élargies.

Vaincre, c’est, suivant la formule classique, imposer sa volonté à l’ennemi ; les Allemands ont voulu briser le front français et ils ont échoué ; les Français, inversement, ont voulu livrer une bataille défensive, c’est-à-dire infliger à l’ennemi le maximum d’usure jusqu’au moment où, la balance ayant culbuté, ils reprendraient l’offensive. Ils sont arrivés pleinement à ce résultat. Les Allemands ont engagé, usé, renouvelé, usé encore des forces de plus en plus grandes. Ils ont fait massacrer leur classe 1916, ils ont aminci le reste du front, ils ont engagé dans un effort désespéré toutes leurs disponibilités. Cessons maintenant de considérer le détail des faits. Revenons à notre point de départ. Les Allemands ont engagé la bataille de Verdun parce que, dans une lutte d’usure, ils seraient nécessairement inférieurs, et qu’il leur fallait dénouer le nœud par l’épée. Mais cette fois l’épée s’est brisée. Ils se trouvent dans une situation pire qu’avant le 21 février. Ils sont comme une bête dans des rets, qui se prend d’autant plus fortement qu’elle s’efforce de s’en dégager. Leur effort les a épuisés et a accru l’inégalité. La bataille de Verdun précipite le destin : c’est, par la faute même des Allemands, le premier acte de la victoire définitive.


HENRY BIDOU.