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ouvre à son tour le feu sur le village ; les soldats s’amusaient de voir les obus éclater sur les Allemands. À la tombée de la nuit, deux bataillons, l’un du 410e, l’autre du 414e, enlèvent les barricades à l’entrée du village, qui est repris. Mais le 4, à l’aube, les Allemands renforcés reviennent à la charge, et après cinq heures de combat, le tas de ruines que fut le village retombe aux mains des Allemands. Les Français s’établissent à 200 mètres au Sud, et l’ennemi ne peut pas faire un pas de plus.

Ainsi, la prise de Douaumont a été pour la 113e division allemande un succès qu’elle n’a pu exploiter. Il lui a coûté terriblement cher ; devant une seule tranchée française, après une contre-attaque allemande du 3 au soir, on a compté 800 cadavres. Du côté français, les troupes ont été héroïques. On cite un lieutenant qui, au plus fort de l’affaire, se promenait tranquillement, la cigarette aux lèvres, au milieu de sa compagnie. Un soldat blessé au début d’une attaque refuse de se faire panser et nettoie les fusils de ses camarades. Un autre, attaqué par cinq Allemands, en tue deux à la baïonnette et abat les trois autres pendant qu’ils s’enfuient.


IX

Le combat du 2 avait achevé la ruine du XVIIIe corps. Ainsi, des trois corps qui avaient fourni l’attaque, deux étaient complètement hors de combat, et le but n’était pas atteint. Il est vrai que les Français avaient perdu leurs deux premières lignes ; mais ils avaient opposé sur la troisième une résistance invincible. La ruine de la masse de choc allemande, avant qu’elle ait rempli sa mission, pouvait être regardée par l’Allemagne comme un désastre. Mais cette masse de choc, comme nous l’avons montré, était venue, au moment de sa formation, s’encastrer dans l’armée du Kronprinz ; or, cette armée était intacte ; on décida de la faire donner à son tour.

Ainsi la bataille allait se dérouler dans l’ordre primitivement établi : après l’attaque sur le centre, les attaques d’ailes. Seulement ces attaques, au lieu de se faire après le succès de l’attaque centrale, allaient se faire après son échec. C’était bien la machine telle qu’elle avait été prévue, et le mécanisme fonctionnait comme il avait été monté. Seulement, la pièce maîtresse était cassée.