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Tandis qu’un ordre du Kronprinz au IIIe corps, le 4 mars, représentait cette ville comme le cœur de la France ; tandis qu’un ordre du général von Deimling au XVe corps annonçait la bataille comme la dernière grande bataille de la guerre, — les journaux, pour ne pas surexciter d’abord les espoirs et ensuite les déceptions, se sont évertués à diminuer l’importance du but et des moyens. Il ne s’agissait, d’après eux, que de dégager Etain, et le chemin de fer de Verdun à Metz.

En réalité, si l’on veut comprendre les faits, il faut se représenter, au contraire, une action exécutée avec le maximum de moyens, pour le maximum d’effet. On se ferait une idée très fausse si l’on s’imaginait que l’objet de l’attaque allemande fut simplement de prendre une citadelle. La région fortifiée de Verdun, entre l’armée française opérant en Argonne et l’armée opérant au Nord de Toul, formait une zone distincte, défendue par une armée particulière, encastrée entre les deux autres. Le but des Allemands a été d’anéantir cette armée, et de ruiner ainsi un pilier d’angle de notre front.

Leur plan ressort avec une parfaite évidence de la disposition de leurs troupes, telle que nous l’exposerons tout à l’heure. En 1792, l’attaque de Verdun s’était faite par le Nord et par l’Est. En 1870, au contraire, les Allemands avaient passé la Meuse à Charny, en amont de la ville, et ils avaient attaqué celle-ci par l’Ouest. Le Kronprinz pouvait donc suivre l’un ou l’autre exemple. Il n’est pas douteux qu’il ait voulu, cette fois, exécuter une attaque frontale sur la rive droite par le Nord et le Nord-Est, une rupture de vive force comme celle que le maréchal Mackensen avait réussie le 1er avril 1915 sur le front russe à Gorlice ; cette rupture frontale devait être combinée avec une attaque d’aile qui se déclencherait ultérieurement sur le front Est. Rompus en tête et tournés en flanc, les corps français de la rive droite se rejetteraient alors en désordre sur la Meuse, pour la passer d’Est à Ouest. Mais, à ce moment, les corps allemands de la rive gauche, se portant à leur tour en avant, viendraient leur barrer la retraite, et, les enveloppant du côté de l’Est, consommeraient leur perte.

Pourquoi l’attaque initiale par le secteur Nord-Est ? L’explication peut être trouvée dans une phrase de Goetze. Les hauteurs de la rive droite, dit cet auteur, « sont découpées par de grands ravins aux flancs escarpés et sont en grande partie