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La sérénité veille et me garde, constante,
Car, ma seule demeure à moi, c’est une tente

Faite du rude poil des dromadaires bruns.
Alentour, point de murs farouches, importuns,
De grilles, de vitraux qui sont une barrière ;
Elle est ouverte aux vents, à la vive lumière,
Et l’odeur des lointains, le goût du sable amer,
S’y confondent avec l’ardent parfum de chair
Que l’amour immortel aux beaux gestes sans nombre
Eternise parmi la douceur de son ombre.

J’ignore quels soucis hantent les autres lieux ;
Mon royaume au soleil est tranquille et joyeux.

Tout près de mon cheval, mon « buveur d’air » superbe,
Mes chèvres, mes brebis sans gardien broutent l’herbe
Que l’automne fait naître et qu’Avril fait fleurir
Sur le steppe enchanté dont le sein peut nourrir
Tout un miracle mauve et rose de calices
Où les abeilles vont, en bourdonnans délices,
Goûter de leur labeur le plaisir délicat.

Au matin, quand l’aurore avec tout son éclat
Devance la journée où toute ardeur se fane,
Sur mon large horizon passe une caravane
Qu’accompagnent des chants au guttural refrain.
Je vais à sa rencontre. Afin d’avoir du grain,
Je donne un chevreau noir, une brebis bêlante.
Puis, la troupe reprend sa marche nonchalante,
Le chant interrompu s’élève plus altier
Et le sable sournois nivelle le sentier.

La puissance d’aimer est partout souveraine :
Je n’ai pas de palais, mais ma tente a sa reine,
Une Amourïa [1] souple et câline aux grands yeux
Pleins de trouble douceur ou d’orgueil radieux.

  1. Originaire des pays du Djebel Amour.