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Et tu ne sauras plus qu’il est un autre monde
Où l’on meurt d’espérer et de se souvenir,
Où le labeur armé d’âpres souhaits abonde,
Où l’on attend toujours ce qui ne peut venir.

Tu ne sauras plus rien que la voix immuable
De l’espace doré sans ombre ni détours,
Et, pris dans le réseau des palmiers et du sable,
Tu croiras posséder l’éternité des jours.


LE PROJET


Evoquez, dans un soir de luxe et d’incendie,
La splendeur du pays où brûle l’Orient,
Et devant quelque pâtre impassible, priant,
Songez à la ferveur de notre âme infinie.

Je voudrais, je voudrais avec vous quelque jour,
Aller dans la beauté de mes champs d’asphodèles,
Dans le roucoulement ému des flûtes grêles,
Nostalgiques, pleurant de chagrins et d’amour.

Nous interrogerions ces femmes aux yeux larges
Et sauvages, qui font, d’un geste antique et lent,
En inclinant leur corps robuste et nonchalant,
Tandis que leurs bijoux luisent comme des targes,

Glisser au fond du puits leurs amphores de grès.
Nous verrions le croissant d’une lune islamique
Se poser dans le bleu du soir mélancolique,
Tel un pâle joyau sur le front des cyprès.

Et nous endormirions notre désir de vivre
Au rythme bourdonnant des rudes tympanons,
Tandis que fumeraient sur les rouges charbons
Les grains d’encens jetés aux braseros de cuivre.