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aux livres écrits avant la guerre, et d’abord aux siens qu’il se prend à juger avec une sévérité d’ailleurs excessive. « Amour promis. Il s’y trouve quelque chose de chétif... Les livres d’avant la guerre, ou n’ayant pas subi l’influence de la guerre : il y manquera une marque ; il y manquera le sens de ce qui est vraiment important, de ce qui est le vrai tragique, de ce qui est grave, essentiel. » Combien devront être différens les livres de demain, ceux dont l’écrivain rêve dans son abri de tranchée ! Déjà, pour le jour où il aura repris la plume au lieu de l’épée, il esquisse des sujets de romans. « Sujet, pour après la guerre. Ceci comme un beau thème symbolique : une famille avec un grand souvenir d’héroïsme derrière elle : les héros sont morts, le souvenir plane. Comment s’accommoder de la vie banale ? Donner le ton de ce que sera la France après la guerre... » Dans ces romans qu’il se proposait d’écrire, Emile Clermont aurait sans doute apporté les mêmes qualités de pénétrante analyse qui avaient toujours été les siennes ; mais il les aurait appliquées à d’autres sentimens, plus mâles, plus vigoureux, plus féconds. Que ne pouvait-on attendre de ce jeune talent, mûri par l’épreuve, élargi par l’action grandiose ? Hélas ! que d’espoirs brisés ! Mais c’est l’amère beauté des heures que nous vivons, qu’il faille se dégager des douleurs individuelles pour ne songer qu’à l’œuvre commune. Ces livres dont l’héroïque officier portait en lui l’ébauche, d’autres, plus heureux que lui, les écriront. L’honneur lui restera d’avoir pressenti, annoncé cette littérature de demain dont tous nos chers, tous nos bien-aimés combattans sont, à quelque titre que ce soit, les artisans, et qui donnera le « ton de la France après la guerre. »


RENE DOUMIC.