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surprendre. Depuis Rousseau, la méditation moderne s’accorde avec un vif sentiment de la nature : le promeneur solitaire regarde autour de lui et trouve dans les mille nuances de l’atmosphère un accompagnement à sa rêverie. Emile Clermont parle de la campagne en homme qui y a vécu, qui en a la vision directe et l’intime sensation. Il en sait rendre surtout les aspects de mélancolie, où flotte un voile de brume et comme une âme de tristesse : « La nuit descend, la voix des pâtres sonne plus haut dans la vallée, et la brise que le soir élève, glissant sur la surface des étangs comme la frange d’une écharpe invisible, les ride et les ternit. » Ailleurs, un des personnages croit entendre, dans une clameur qui déchire l’air nocturne, le cri de sa propre souffrance : « En cet instant, un long cri tragique et bizarre, comme il en monte quelquefois des nuits d’hiver ou d’automne, déchira l’espace, probablement la clameur d’agonie de quelque oiseau attaqué dans les marais de la rivière. Elle en fut physiquement touchée, atteinte : elle tendit l’oreille avec angoisse, l’âme tremblante et suspendue : sans doute, si elle-même s’était plainte, elle se serait plainte ainsi. » Cette harmonie du paysage avec l’état de notre âme est un des thèmes habituels de la poésie lyrique. Les romans personnels d’Emile Clermont sont aussi bien des romans lyriques. Plus qu’à tout autre modèle, c’est à René qu’ils se rattachent. Certains tours de phrase, voisins de la poésie, en procèdent directement. « Pressentimens, doutes, que ne vous ai-je écoutés ? Au murmure berceur des sapins, près de ce ruisseau qui jasait sur les pierres, que ne me suis-je arrêté davantage à ces révélations d’un prochain avenir ? » Et lorsque le jeune homme d’Amour promis, pour retrouver certains momens de vie ardente, offre par avance tous les sanglots de son cœur et « écarte avec dédain les heures inertes et les jours indifférens, » ne croit-on pas entendre encore une fois retentir l’appel aux orages désirés ?

Dans quelle mesure les romans psychologiques d’Emile Clermont étaient-ils des confessions, c’est une question toujours délicate, question de mesure et de nuances. L’auteur ne se confondait pas avec eux, cela va sans dire, mais il était avec eux en sympathie. Il s’intéressait à leurs complications et à leurs inquiétudes, parce qu’il en portait en lui le germe. Or voici ce qui est capital. Depuis ce jour d’août 1914 où l’écrivain devenu