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Villeloin-Coulangé, 10 août.

Tout est en commun de ce que les soldats possèdent, et les droits de tous à la chose possédée sont égaux. Quiconque gâte ou dilapide sa part de la fortune collective appauvrit les autres ; quiconque mange plus que sa portion de l’ordinaire, ou déchire ou salit ses vêtemens, diminue la ration de ses camarades, amoindrit les ressources grâce auxquelles on peut les vêtir. Ainsi chacun d’eux trouve dans les droits des autres la limitation de ses propres droits ; il la trouve expérimentalement, au cours de l’expérience quotidienne à laquelle préside le commandement des officiers et leur administration.

Là est le sens de cette fonction administrative que certains officiers trouvent fastidieuse et qui ne peut paraître telle que si on en méconnaît le sens. Le premier soin d’un capitaine qui reçoit une recrue est de lui donner une gamelle et une cuillère. Il remplace un pantalon ou bien il y fait mettre une pièce selon que le mérite le détenteur du pantalon. Il enseigne la solidarité et la mutualité à propos d’une chemise perdue ou d’une semelle percée. Et il fait ainsi de la vie économique et domestique de la troupe, justement réglée et conduite, la base de la vie militaire dont il est le mentor et l’instituteur.

Ce n’est là cependant qu’une base, et il s’agit d’édifier au-dessus de ce soubassement. Les travaux du service intérieur sont alors la première assise. La propreté des locaux, les soins aux chevaux, aux harnachemens, au matériel, aux effets, aux armes, les corvées pour la perception du fourrage et des denrées, et surtout le service de l’ordinaire, c’est-à-dire la préparation, la cuisson et la présentation des alimens, forment les principaux articles de ce programme. Il faut y ajouter les soins corporels que beaucoup de soldats ne comprennent pas d’abord comme utiles à eux-mêmes, et dont ils ne s’acquittent que par obéissance, comme de n’importe quel service commandé ; ces pratiques de salubrité et d’hygiène ne sont donc jusque là qu’une part de cet entretien économique et de cette gestion sage, par laquelle on ménage les deniers de l’Etat ; la part principale, puisqu’elle a pour objet la conservation de la troupe elle-même, c’est-à-dire du premier et du plus précieux des capitaux engagés.

Cette fois, il s’agit d’autre chose que de mutualité économique : on en est à la mutualité morale. Les soldats font plus