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vous souhaiteriez aimer : vous avez l’air de vous livrer dans vos paroles ; vous le voudriez peut-être, mais, au fond, vous restez attentif et glacé... Je me demande si vous ne restez pas en dehors de ce que vous éprouvez. » Le portrait n’est pas flatté, mais il est criant de ressemblance. Hélène, pour en avoir déjà souffert, a bien vu l’égoïsme foncier de ces natures trop occupées d’elles-mêmes et qui y rapportent tout l’univers. C’est aussi le jugement de l’auteur, et c’est pourquoi son récit, commencé en idylle, se termine en roman de Stendhal.

Le roman de Laure nous présente, transposé dans un type de jeune fille, un caractère de même espèce, mais de qualité très supérieure. Frêle et souffrante elle aussi, Laure est, par nature, repliée sur elle-même, et concentrée en une sorte de timidité silencieuse. Hâtons-nous de dire que chez elle la singularité est synonyme de distinction : ce qui la fait différente des autres, c’est une rare élévation morale. Elle veut mettre dans sa vie quelque chose qui lui donne du prix, et que tout s’y passe non pas seulement sur un autre plan, mais sur un plan supérieur. Elle aspire à la perfection. Belle âme devant Dieu, mais mal adaptée aux exigences du commerce humain. Elle est toute en contradictions, oscillant d’un sentiment à l’autre sans pouvoir se tenir à aucun. Gagnée à l’attrait mystique des choses infinies, elle semble faite pour la vie religieuse, et pourtant elle n’a pas la vocation. Elle aime un jeune homme dont elle est aimée, et, pour lui avoir donné l’impression d’être trop différente de lui, elle le laisse se détacher d’elle et, comme le Clitandre des Femmes savantes, reporter sa tendresse sur une autre Henriette. Elle se sacrifie pour sa sœur ; et plus tard, constatant pour quel médiocre résultat elle s’est sacrifiée, elle en éprouve de la déception, comme si le sacrifice devait toujours avoir sa récompense ! Elle entre au cloître, et y étant entrée surtout pour chercher une diversion à son chagrin, elle ne peut y rester. Elle s’essaie de nouveau à la vie laïque ; et, pour quelques jours qu’elle a passés dans le ménage de sa sœur, elle risque de l’avoir à jamais brouillé. Nulle part elle n’est à sa place et dans son cadre. Cruel effet de cette disposition inquiète qu’elle a apportée en naissant. Heureuses celles qui ont accepté la vie avec simplicité !

Ces subtiles études morales s’encadrent dans de très fraîches descriptions de nature. Le contraste n’est pas pour nous